Une naissance à l'aube de la seconde guerre mondiale. Une mère qui abandonne l'enfant au bout de quelques mois. Un père, résistant communiste, tué par les Allemands. Une enfance galère, une installation dans un petit commerce de boucherie, la naissance d'une fille, Cynthia (Blandine Lenoir), puis le cauchemar. Pour avoir blessé grièvement un homme qu'il croyait être l'auteur d'une agression sexuelle envers sa elle, le boucher se retrouve en prison, ayant perdu sa boutique et son enfant. Quelques années plus tard, il engrosse la tenancière d'un café. Tous deux se retoruvent à Lille, et le cauchemar continue...
Plus noir que noir... C'est la vision d'un monde définitivement horrifique que nous propose Gaspard Noe, spécialiste du sordide et de la désespérance inéluctable ("Irréversible"). Définitivement est cependant un terme excessif, dans le cas présent. Le récit est ici progressif, et, s'il visite, durant les 99 premiers pour cent, les abîmes du désespoir, de la colère, de la haine, semblant s'enfoncer toujours plus avant dans une négativité unilatérale, un pessimisme absolu, les ultimes minutes allument, presque en s'excusant, une étincelle de lumière. Dans l'inceste, ce qui n'est certes pas exaltant, mais, comme ce sera le cas ultérieurement, de manière différente, dans l'oeuvre magnifique de Pedro Almodovar, "Parle avec elle", les prétendues "fautes" peuvent se révéler une porte ouverte à l'irruption de l'amour ou de la vie, ce qui est la même chose.
Contrairement à "Irréversible", d'où suintait une fort désagréable sensation de calcul voyeuriste, le drame qui est développé ici acquiert, au fil de son évolution, et malgré une vision unilatérale primaire de la détresse physique et psychique, une puissance, une authenticité qui sont encore renforcées par l'absence totale d'esbroufe narrative ou visuelle. Sobriété absolue, plans fixes, composition extraordinaire de Philippe Nahon, dont le visage carré, éteint, monolithique, compose un concentré explosif de toutes les souffrances empilées, couleurs délavées, sales, décors cafardeux, personnages secondaires aux tronches de déterrés... Cela fait beaucoup, mais, paradoxalement, jamais trop. Parce que, même si le réalisateur ajoute sans répit de nouvelles couches de malheur dans le parcours vital de cet homme né sous une très mauvaise étoile, il le fait avec une autorité et une obstination spontanées qui transmutent l'excès en évidence fatale, attendue. Parsemé de placards aux textes provocateurs (Un compte à rebours pour proposer au spectateur d'abandonner le film...), ambigus ("Vivre est un acte égoïste"), ponctué de claquements "coups de feu", le récit sculpte sans complaisance la forme tuméfiée d'un être massif, primaire, que l'accumulation de traumatismes a définitivement anéanti, transformant son cerveau en une bouillie de haine incoercible. C'est horriblement envoûtant...