Tár, film de Todd Field, commentaire

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Tár,
       2022,  
 
de : Todd  Field, 
 
  avec : Cate Blanchett, Noémie Merlant, Mark Strong, Adam Gopnik, Julian Glover, Allan Corduner,
 
Musique :   J.S. Bach, Hildur Guðnadóttir, Gustav Mahler

  
  
Lydia Tár (Cate Blanchett) est une cheffe d'orchestre célèbre et inspirée. Elle vit en couple avec Sharon Goodnow (Nina Hoss) et leur fille, Petra (Mila Bogojevic). Elle prépare à Berlin un concert qui sera consacré à la cinquième Symphonie de Gustav Mahler...
 
  Une surprise inaccoutumée s'installe d'emblée, avec un interminable générique (cinq minutes) qui défile avant le début du film. Certes, il est regrettable que l'immense majorité des spectateurs quitte la salle avant même que ne s'ouvre le générique final, mais l'imposer au début de l'œuvre est tout de même sacrément gonflé, d'autant plus qu'il est totalement illisible. Une fois le pensum achevé, se développe une très longue interview de Tár, dans laquelle elle expose de façon lyrique et inspirée sa conception de la lecture musicale et de sa retranscription par l'orchestre et le chef. Là encore, tout comme dans la suite, au cours des échanges avec les différents intervenants, les dialogues se révèlent obscurs pour qui n'est pas familier avec la musique classique ou contemporaine, et nécessitent une attention soutenue pour que le spectateur ne se sente pas perdu corps et biens. Handicap supplémentaire, Lydia Tár se montre particulièrement infatuée de son génie interprétatif, ce qui ne favorise guère la naissance d'une empathie de la part de ceux qui l'écoutent pérorer ou qui la voient développer un orgueil démesuré. En revanche, Cate Blanchett se montre impériale dans cette incarnation, comme si elle était depuis toujours une descendante directe de son modèle, Léonard Bernstein. Elle est une personnalité complexe, mystérieuse, difficile à cerner, imprévisible dans ses réactions, tantôt attachante, tantôt agressive, et le film rend cette richesse intérieure et cette nébulosité de manière visionnaire. Lorsqu'une scène se termine, il est impossible de prévoir quelle forme prendra la suivante. Mais, si le récit se contorsionne au gré des extravagances de Lydia avec une maestria impressionnante, une gêne permanente accompagne cette malléabilité. D'une part les conversations sont difficiles à apprécier pleinement, même si l'on a quelques connaissances en musique classique, et, surtout, le scénariste réalisateur affiche avec  fatuité son désir de donner naissance à un biopic qui se veut d'une créativité géniale sur une artiste qui se pense elle-même géniale. Ce qui, sur la durée, devient crispant, car inspiration supérieure et complexification outrée ne sont pas forcément miscibles.

 Le résultat final est assez semblable à celui de «Anatomie d'une chute». Dans le cas présent, il est impossible de ne pas être admiratif devant la richesse et l'intensité de cette plongée viscérale dans le monde intérieur de cette artiste hors normes, mais en même temps, il est bien difficile de se sentir ému par les épreuves d'un être engoncé dans sa suffisance et son égocentrisme ravageur. Et puis il y a bien peu de musique, comme si celle-ci n'était qu'un accessoire secondaire, submergé par la psyché mégalomane de son interprète.

 L'œuvre a obtenu sur le site AlloCiné une note impressionnante de 4,2 sur 5, mais je serais curieux de savoir combien de critiques ont compris et digéré ne serait-ce que les trois quarts du contenu des dialogues.
   
Bernard Sellier