Anatomie d'une chute film de Justine Triet, commentaire

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Anatomie d'une chute,
      2023, 
 
de : Justine  Triet, 
 
  avec : Sandra Hüller, Swann Arlaud, Milo Machado Graner, Antoine Reinartz, Samuel Theis, Jehnny Beth,
 
Musique : Frédéric Chopin

 
 
Sandra Voyter (Sandra Hüller), son compagnon Samuel Maleski (Samuel Theis) et leur fils malvoyant Daniel (Milo Machado Graner), âgé de 11 ans vivent à la montagne, non loin de Grenoble. Un jour, Samuel est retrouvé mort au pied de leur chalet. S'agit-il d'un suicide ou d'un homicide ? Une enquête est ouverte et Sandra est inculpée malgré le doute. Un procès a lieu...
 
 Le fond du sujet est pratiquement semblable à celui du «Torrent» d'Anne Le Ny, sorti sur les écrans l'an passé. Mais les traitements des deux drames sont radicalement différents. Anne Le Ny avait choisi d'occulter tout ce qui avait trait au procès, ne conservant de la trame évènementielle que quelques bribes d'enquête et se focalisant entièrement sur le ressenti intérieur des personnages. Justine Triet injecte dans son œuvre tout ce qui a été laissé de côté par sa consœur. À savoir une reconstitution de la chute mortelle et une très longue dissection du procès qui occupe une grande partie du film. Examinons d'abord ce qui enchante dans ce film qui, rappelons-le, a obtenu la Palme d'Or à Cannes en 2023. Deux domaines se distinguent très nettement. D'une part, l'interprétation des acteurs qui, tous sans exception, sont d'une justesse exemplaire, avec une mention spéciale à Sandra Hüller, qui distille une ambiguïté d'une subtilité constante. D'autre part, une dissection du couple qui fait penser aux «Scènes de la vie conjugale» d'Ingmar Bergman, ou au «Marriage story» de Noah Baumbach, ce qui n'est pas un mince compliment. Disons, en simplifiant à l'extrême, que l'observation des personnages de «Torrent» pourrait sortir de la plume d'un étudiant en psychologie de deuxième année, tandis que celle des protagonistes de «Anatomie d'une chute» pourrait émaner d'un psychanalyste Jungien chevronné. 

 Mais si à l'évidence l'écriture de ce scénario est transcendante, une création cinématographique ne se résume pas uniquement à la qualité d'analyse de ses personnages et à l'excellence de ses dialogues. Surtout lorsque le film a obtenu une Palme d'Or. C'est là que le bât blesse. Les deux scénaristes, dont la réalisatrice Justine Triet, ont choisi un sujet dans lequel l'ambiguïté est certes reine, mais qui se montre d'une linéarité franchement primaire. Un accident, une enquête, des doutes, un procès. Mais si ce dernier est conduit avec une brillance qui n'occulte jamais la profondeur des propos, il est difficile de voir sourdre une émotion profonde, bien que le sort de Sandra soit en jeu. Son jeu durant le procès, évidemment voulu par la réalisatrice, affiche d'ailleurs une tiédeur générale qui ressemble presque à de la résignation. C'est impressionnant de maîtrise, mais difficilement générateur d'empathie. De plus, la mise en scène se montre elle aussi très classique. Seul le fait, d'ailleurs un tantinet artificiel, que Sandra s'exprime tantôt en anglais, tantôt en français, apporte une touche d'originalité. Cette qualité de sobriété est louable, mais elle surprend dans une œuvre qui s'est vu attribuer la récompense suprême.

 Une création artistique qui en impose par ses qualités d'écriture et d'interprétation, mais qui ne provoque jamais l'enthousiasme.
   
Bernard Sellier