La vie des autres, film de Florian Henckel von Donnersmark

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La vie des autres,
      (Das Leben der Anderen),     2006, 
 
de : Florian Henckel  von Donnersmark, 
 
  avec : Ulrich Mühe, Ulrich Tukur, Sebastian Koch, Martina Gedeck, Thomas Thieme,
 
Musique : Gabriel Yared


   
Anton Grubitz (Ulrich Mühe) est officier de la Stasi, police secrète d'Allemagne de l'est dans les années 1980. Sa valeur professionnelle est telle qu'il est chargé de former les futurs membres de cet organisme qui surveille tous les habitants suspectés de ne pas se conformer parfaitement à la ligne du parti. Le Ministre de la Culture, Bruno Hempf (Thomas Thieme), désire faire espionner un auteur de théâtre, Georg Dreyman (Sebastian Koch), soupçonné de n'être pas aussi docile qu'il le paraît. Anton installe micros et caméras dans l'appartement de l'écrivain et commence à décortiquer chaque parcelle de sa vie, en particulier tout ce qui concerne ses amours avec l'actrice Christa-Maria Sieland (Martina Gedeck)... 
 
   Dès l'ouverture du film, avec la dissection psychologique de cet interrogatoire dont la brutalité lancinante et manipulatrice, exempte de toute agression physique, se révèle cent fois plus tétanisante que les dérives sanguinolantes d'un Jack Bauer dans "24 Heures", il est manifeste que nous sommes en présence d'une oeuvre historique et humainement dramatique majeure. D'une facture très classique, elle analyse, avec une glaçante évidence, la folie délatrice et suspicieuse qui transforme la vie des habitants en un cauchemar permanent. Filatures, écoutes, chantage, menaces, tout est bon pour servir la cause du parti, mais aussi pour escalader les marches du pouvoir et s'attirer les bonnes grâces des autorités politiques en place. Mais, à côté de ceux qui mènent les investigations et manipulent l'existence d'êtres réduits à l'état de moutons étroitement surveillés, grouille une vermine souterraine composée de "bonnes volontés" primaires, personnages falots, obéissants, persuadés de servir, par leur zèle de chaque instant, la grandeur d'un état auto-proclamé paradisiaque. Ulrich Mühe incarne à merveille cet officier servile, intègre, et dessine un symbole saisissant de la déshumanisation orchestrée par un régime totalitaire. Ascétique jusqu'à la moelle, il est capable, sans faire vibrer le moindre muscle de son visage d'exprimer toutes les émotions de son âme, qu'elles appartiennent au monde de l'ombre, ou qu'elles tentes désespérément de contacter la lumière. Sur le plan strictement événementiel, il ne se passe quasiment rien, et pourtant l'oeuvre se suit avec une intensité passionnelle bien supérieure à celle qui peut accompagner le plus captivant des thrillers hollywoodiens. Intelligence du scénario, sens de la délicatesse et de la pudeur innés, un dénouement bouleversant de sobriété, toutes les qualités sont réunies pour faire de ce film, au sujet a priori rebutant, un joyau mémorable. 
 
   Une leçon d'histoire, de réalisme sociologique, de drame intimiste, servi dans un écrin fascinant.
   
Bernard Sellier