Vol au-dessus d'un nid de coucou, film de M. Forman, commentaire

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Vol au-dessus d'un nid de coucou,
   (One flew over the Cuckoo's Nest),         1975, 
 
de : Milos  Forman, 
 
  avec : Jack Nicholson, Danny DeVito, Louise Fletcher, Will Sampson, Vincent Schiavelli, Brad Dourif,
 
Musique : Jack Nitzsche


 
Randle Patrick McMurphy (Jack Nicholson), emprisonné pour diverses agressions et viol, est transféré dans l'unité psychiatrique du Docteur John Spivey (Dean R. Brooks) afin d'y être testé. Est-il un habile simulateur ou présente-t-il véritablement des troubles mentaux ? Il se retrouve au milieu de malades dont certains ont été internés à leur demande. Il y a là "Grand Chef" (Will Sampson), apparemment sourd et muet, le petit Billy, timide et bégayeur (Brad Dourif), Martini (Danny DeVito), Charlie Cheswick (Sydney Lassick), Taber (Christopher Lloyd)... Rapidement, l'extraversion débridée de McMurphy provoque une révolution dans le service, dirigé d'une main ferme par l'infirmière Mildred Ratched (Louise Fletcher). Lorsqu'un jour il dérobe l'autobus de sortie et emmène ses compagnons pêcher le saumon sur un bateau, il devient un sérieux danger... 
 
 L'œuvre, devenue grand classique s'il en est, le doit peut-être avant tout à son acteur principal, Jack Nicholson, dont ce fut, à juste titre, l'une des incarnations les plus remarquables avec "Shining" cinq ans plus tard. Mais, si l'acteur est effectivement impressionnant de bout en bout, se coulant dans la peau de cet énergumène aussi ambigu que complexe, avec l'aisance d'un caméléon protéiforme, la réussite exceptionnelle du film est loin de naître uniquement de sa performance. Toute la narration, hormis de rares moments extérieurs, est enfermée dans un vase particulièrement clos : les quelques salles où sont parqués la vingtaine de malades plus ou moins profondément atteints. C'est dire que l'éventail des potentialités d'épanouissement humain est, a priori, des plus lilliputiens. De plus, ce microcosme où se côtoient des cas pathologiques lourds est le milieu rêvé pour se laisser aller aux débordements visuels caricaturaux ou à l'outrance tapageuse. Pourtant, dès le commencement, un miracle se produit. Grâce à de longues séquences qui placent le spectateur dans la situation d'un témoin oculaire présent dans la salle, les déchaînements des différents protagonistes ne sont plus une caractérisation grimacière, ou spectaculaire, mais s'inscrivent dans une réalité hospitalière tragiquement quotidienne.  
 
 Il est difficile d'imaginer que la cohabitation de ces dix personnages, agressifs, refoulés, plus ou moins autistes, traumatisés, va donner naissance à une oeuvre d'une telle richesse psychologique et humaine. C'est pourtant le second miracle du film. Aussi limités soient-ils dans leurs réactions comportementales ou leur expression d'êtres humains, les Billy, Martini, Cheswick, "Grand Chef", vont devenir, sans s'en rendre compte, les catalyseurs de l'évolution des deux personnalités clés de l'histoire. Avec des moyens narratifs limités, crédibilité oblige, à travers des actions basiques, des réactions primaires, le réalisateur parvient à faire glisser imperceptiblement chacun des deux "héros" vers une zone psychique qui se révèle à l'opposé de sa nature primitive. Pendant toute une longue partie du film, l'infirmière Ratched se montre certes ambiguë, mais intelligemment ferme dans un environnement pathologique qui demande rigueur, maîtrise et droiture. Dans le même temps, McMurphy laisse éclater sa nature égoïste, veule, violente et calculatrice. Puis divers événements vont, peu à peu, faire dériver les deux tempéraments, quasiment à l'insu de leurs propriétaires. Le premier point d'achoppement est évidemment la lutte pour le pouvoir. C'est elle qui introduit la première goutte d'acide dans une des failles de l'infirmière. Dès lors, le travail de corrosion ne peut plus être stoppé. Mc Murphy, bien que toujours ancré dans son ambivalence, laisse progressivement percer un amour de l'autre qui se révèle être, justement, la carence insoupçonnée dans la nature profonde de Ratched. Nombre de scènes mémorables émaillent l'histoire. Elles aussi subissent la loi du crescendo : d'abord prisonnières du niveau physique primaire (la scène où les malades suivent un match de base-ball commenté par McMurphy devant une télévision éteinte !), elles s'élèvent ensuite au niveau de la liberté matérielle et psychique (la magnifique scène de pêche au large). Mais l'apothéose tragique se situe bien sûr au lendemain de la nuit d'orgie, lorsque Ratched laisse échapper une véritable manifestation de monstre à l'encontre du pitoyable Billy. 
 
 Perfection du jeu (si Louise Fletcher est impressionnante de maîtrise et d'ambiguïté, il faut saluer tout autant l'exceptionnelle performance de Brad Dourif, inoubliable Billy !), descente dans les profondeurs de la psyché sans démonstration pesante, justesse miraculeuse des réactions et pulsions instinctives individuelles dans chaque séquence, absence totale de gratuité (chacun des rôles secondaires possède sa propre personnalité intrinsèque), final abrupt marqué par le sceau d'une logique poignante, tout concourt à rendre cette œuvre sombre, où, paradoxalement, on rit beaucoup, magnétique et impérissable.
   
Bernard Sellier