Jack Torrance (Jack Nicholson) accepte d'être le gardien du grand complexe hôtelier "Overlook" durant la période hivernale. En effet, plusieurs mois par an, les routes d'accès à ce coin reculé du Colorado sont totalement obstruées par la neige et l'accès impossible. Accompagné de sa femme Wendy (Shelley Duvall) et de son fils Danny (Danny Lloyd), il emménage donc avec l'intention de consacrer ses journées à écrire. Le garçonnet perçoit des visions d'un drame qui s'est produit dans les lieux une dizaine d'années plus tôt : le gardien d'alors avait perdu la raison et massacré toute sa famille. Au bout de quelques semaines, Jack commence à montrer une agressivité marquée...
Stanley Kubrick a tourné peu de films, mais a abordé, avec, à mon goût, des résultats souvent mitigés, des thèmes fort différents : l'antiquité avec "Spartacus", la guerre avec "Full metal jacket", l'anticipation avec "2001, Odyssée de l'espace", le drame classique avec "Barry Lyndon", la comédie volontaire avec "Docteur Folamour" et involontaire (!) avec "Eyes wide shut". Ici il se plonge dans la terreur pure et nous y entraîne avec une maestria et une violence magistrales. Bien sûr, comme c'était le cas pour "Odyssée de l'espace", il ne peut s'empêcher de parsemer l'histoire de scènes-énigmes. L'image finale, par exemple, qui, à l'instar du foetus qui clôt "2001, odyssée de l'espace", interpelle le spectateur. Dans une interview donnée par une collaboratrice française de Kubrick, était livrée la clé de cette composition photographique ancienne dans laquelle Jack Torrance est inséré. Pour le réalisateur, elle symbolisait la captation de cet être négatif par l'âme perverse de l'hôtel. Un autre détail important ne reçoit aucune explication : comment la porte de la remise dans laquelle est enfermé Jack s'ouvre-t-elle ? Puissance supranaturelle ? Mais, finalement, ce petit jeu du pourquoi et du comment demeure secondaire, tant la puissance dramatique et terrorisante est constamment distillée.
Peu d'ingrédients au total : un couple, un enfant, un espace isolé. Mais quelle intensité ! Dès le commencement, Kubrick abat ses cartes : Danny est un cousin germain du petit Cole Sear dans "Sixième sens". Il perçoit les événements et les personnages qui ont disparu. Jack, au premier abord sympathique, a tout de même naguère démis l'épaule de son fils un jour d'énervement. L'hôtel : une vaste masse grisâtre, aux couloirs aussi déserts qu'interminables, qui devient un labyrinthe suintant l'angoisse. Et puis ces apparitions tour à tour sanglantes ou paralysantes par leur immobilité. Jeu des rouges et des bleus. Travail minutieux sur les éclairages, tantôt crus, tantôt blafards, sur la bande son, aux dissonances savamment dosées. Avec, en apothéose, le personnage de Torrance... On peut souvent reprocher à Jack Nicholson d'en faire beaucoup, trop parfois, de se complaire dans le cabotinage outrancier. Mais, ici, quel résultat ! Est-il possible d'imaginer lueur plus angoissante dans un regard habité par la folie ? La progression de sa descente dans l'enfer de la démence est proprement hallucinante. Il y a, à mon sens, infiniment plus d'horreur dans la scène où Wendy approche lentement de la machine à écrire et découvre ces centaines de pages où la même phrase est tapée à l'infini, que dans les apparitions dentues et baveuses de l'"Alien". Question de feeling, évidemment.
Inutile de le cacher, je suis loin d'être un inconditionnel de Kubrick. Mais ici, quelle claque ! C'est impressionnant de beauté dans l'horreur, d'efficacité dans le minimalisme. Une grande réussite.