Voyage au bout de l'enfer, film de Michael Cimino, commentaire

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Voyage au bout de l'enfer,
     (The  deer hunter),      1978, 
 
de : Michael  Cimino, 
 
  avec : Robert de Niro, Christopher Walken, John Savage, Meryl Streep, John Cazale, George Dzundza,
 
Musique : Stanley Myers

 
 
Michael Vronsky (Robert de Niro) travaille, comme tous ses copains, Stanley (John Cazale), Nick Chevotarevitch (Christopher Walken), Steven (John Savage), dans l'aciérie de Clairton, une petite ville de Pennsylvanie. Nick est vaguement amoureux de Linda (Meryl Streep). Quant à Steven, il épouse Angela (Rutanya Alda), juste avant de partir, le lundi suivant, au Viet-Nam, en compagnie de Michael et de Nick. Après la fête bien arrosée du mariage, ceux-ci vont une dernière fois tirer le cerf dans les montagnes. Puis c'est la plongée dans l'horreur de la guerre. Faits prisonniers, ils se retrouvent tous trois enfermés au bord d'un fleuve, à la merci d'un fou dont la seule occupation est de parier sur la vie de ses détenus qu'il oblige à jouer à la roulette russe... 
 
 Une longue entrée dans la vie ordinaire de gens simples, dont la vie brumeuse, sans grand espoir d'ouverture, se partage entre un travail dur et la décompression de beuveries qui permettent d'oublier, pendant quelques instants, l'obscurité de l'avenir. Une scène de mariage (symboliquement, le moment de la vie le plus pur, d'où le moindre atome de tristesse devrait être banni), telle que nous en avons tous connu, avec ses interminables heures d'agitation frénétique, de plaisanteries, de moments d'alanguissement. Une scène d'un naturel à couper le souffle, qui semble avoir été filmée par un de nos proches, et dans laquelle on oublie quasiment la présence de ces monstres sacrés, qui se fait évidence. Et le temps s'écoule dans une hypnose festive où l'insouciance devient une sorte d'état second. Puis les bruits de la fête s'estompent. Pour un court instant, seulement fêlé par une querelle presque silencieuse et le coup de feu du chasseur, c'est le dernier adieu à la nature. 
 
 La plongée dans l'horreur absolue. Pas de pluies de bombes ou de millions de balles striant l'air comme dans "Il faut sauver le soldat Ryan". Mais le délire d'un gardien sadique qui, jouant de la vie de ses captifs comme il le ferait pour les personnages d'un jeu video, génère chez eux une peur panique irrépressible. Instants quasiment insoutenables dans lesquels De Niro et Christopher Walken révèlent une présence, une vérité, qui se situent bien au-delà du jeu d'acteur. Enfin, et ce sera le troisième acte de la tragédie, le retour si difficile au pays. La réintégration quasiment impossible, soit parce que le corps a été meurtri, soit parce que l'incapacité de faire jaillir de soi l'inracontable emporte à jamais la joie de vivre antérieure. La poignante scène muette dans laquelle Michael se terre dans la chambre du motel, impuissant à se retrouver face à la liesse des amis, est la plus transcendante manière d'exprimer la fracture de l'âme.  
 
 L'approche de la détresse consécutive au vécu de l'apocalypse, est ici à la fois proche et différente de celle adoptée par Oliver Stone dans "Né un 4 juillet". Proche, parce que les deux réalisateurs accordent une place prépondérante à l'avant et à l'après combat. Différente, parce que Ron Kovic finit par retrouver, laborieusement, un sens nouveau à sa vie brisée, tandis que Cimino ne laisse qu'un rayon de lumière bien infime vaciller au coeur de la détresse générale des amis.  
 
 Une oeuvre inoubliable.
   
Bernard Sellier