À corps perdus, film de Sergio Castellitto, commentaire

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À corps perdus,
        (Non ti muovere),       2004, 
 
de : Sergio  Castellitto, 
 
  avec : Penelope Cruz, Sergio Castellitto, Claudia Gerini, Elena Perino, Lina Bernardi,
 
Musique : Lucio Godoy


 
Lire le poème (CinéRime) correspondant : ' Larmes de sang '

 
Angela (Elena Perino), fille de Timoteo (Sergio Castellitto), célèbre chirurgien, est transportée d'urgence à l'hôpital, après une chute de scooter. Inconsciente et souffrant d'un traumatisme crânien, elle est opérée d'urgence par un des confrères de son père, Alfredo (Pietro de Silva). Rongé par l'angoisse, Timoteo revoit certains événements de son existence. Marié à la belle et blonde Elsa (Claudia Gerini), il rencontre un jour, à l'occasion d'une panne de voiture dans un quartier pauvre, une jeune femme, Italia (Penelope Cruz). Elle n'est ni riche, ni vraiment belle, mais fou de désir pour elle, il se rend de plus en plus fréquemment dans la masure qu'elle habite et qui doit prochainement être rasée pour laisser place à des HLM... 
 
 Une histoire de passion folle et destructrice. Une de plus, dira-t-on ! Toute simple, qui plus est, sans les décors exotiques du "Patient anglais", sans la richesse historique et visuellement somptueuse du "Docteur Jivago". Un couple banal, qui oscille paisiblement entre l'amitié, les non-dits, les jardins secrets personnels. Lui, massif, solide en apparence, est un exemple de réussite professionnelle brillante, mais le masque qu'il arbore est d'une fragilité dérisoire. Elle, lisse, raffinée, rigide, se réfugie dans les voyages, et choisit de fermer les yeux sur ce qui pourrait mettre son couple à genoux. Et puis survient le dernier membre du trio. Etonnant petit bout de femme, au visage impassible, habituée à subir les coups du destin, presque laide, qui, pour une raison connue seulement des coeurs concernés, fait chavirer la barque vitale du médecin. Piétinant d'un coup sa maîtrise, sa gravité, sa raison, sa pondération, il devient une bête qui abuse de plus faible que lui, qui laisse éclater au grand jour la part d'ombre qui était enfouie sous la carapace de l'homme du monde. Mais, la première violence passée et acceptée, naît l'amour, ou, tout au moins, son fantôme clinquant, la passion. C'est vrai, il n'y a là rien de vraiment original. La vie, la mort, la lâcheté, les mensonges, tous ces thèmes ont été écrits et filmés des milliers de fois.  
 
 Et pourtant, on ressort de cette vision intensément bouleversés. Pris au piège de cette rétrospective poignante. Parce qu'il y a, d'abord, à chaque instant de cette oeuvre, une sincérité évidente, une densité psychologique pénétrante, une sobriété, une fièvre, une tension et une absence de sollicitation extrêmes. Rien de plaisant, d'aguicheur dans la peinture de cette relation, mais la sauvagerie crue, agressive, d'un homme égoïste. Parce qu'il y a, ensuite, un duo exceptionnel d'acteurs : si Sergio Castellitto est d'une justesse rare, explorant avec une égale acuité l'aspect lumière et l'aspect noirceur de sa personnalité, c'est Penelope Cruz qui crée véritablement un choc majeur. Enlaidie, maladroite, parfois difficilement reconnaissable, mais le regard irradié d'un espoir chimérique que l'on devine derrière le masque de souffrance, elle se montre inoubliable. Et le miracle se produit : une osmose rare, magique, entre les composantes simples du drame intimiste, les personnages, les mots, la musique. Tout cet ensemble d'éléments qui, souvent, se froissent, se télescopent, faisant sombrer la création dans un magma insipide, voire ridicule et, parfois, rarement, se confondent, s'unifient, pour transfigurer une histoire prosaïque en une tragédie déchirante et intemporelle.  
 
 Une merveille.
   
Bernard Sellier