Les Affranchis, film de Martin Scorcese, commentaire

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Les affranchis,
     (Godfellas),      1990, 
 
de : Martin  Scorcese, 
 
  avec : Robert DeNiro, Ray Liotta, Joe Pesci, Lorraine Bracco, Paul Sorvino, Debi Mazar, Joe D'Onofrio,
 
Musique : EricClapton, Donovan...


 
1955. Henry Hill (Christopher Serrone), adolescent fasciné par la vie facile que mènent les "affranchis" de son quartier, devient le garçon de courses du puissant Paul Cicero (Paul Sorvino). Son efficacité est appréciée. Une disaine d'années plus tard, devenu adulte, Henry (Ray Liotta), flanqué de deux amis fidèles, Jimmy Conway (Robert DeNiro) et Tommy DeVito (Joe Pesci), multiplie les coups juteux. La puissance du trio grandit rapidement. Henry rencontre la jolie Karen (Lorraine Bracco) et l'épouse. Mais toute ascension vertigineuse comporte ses dangers... 
 
 Martin Scorcese et Francis Ford Coppola : même combat ? Oui, si l'on ne considère que la focalisation narrative sur le monde autarcique de la Mafia. Cette existence en vase clos, parfaitement hermétique au monde extérieur des "zéros", si ce n'est pour devenir source de profit, est ici merveilleusement rendue et viscéralement perceptible. Non seulement la vie affective, sociale, est circonscrite au groupe des "affranchis", mais encore les rarissimes étrangers (Karen, en l'occurrence), qui s'y voient admis, sont comme phagocytés par le fonctionnement interne du clan, au point de perdre toute prise de conscience objective, de déplacer leur conception de la normalité dans le nouvel univers intégré. L'argent, la vie facile, le luxe permanent, sont d'invincibles modificateurs de terrain ! Mais là s'arrête en fait le parallèle entre les oeuvres de Coppola, surtout "Le Parrain" premier du nom, et ce film. 
 
 Don Vito Corleone était un criminel, certes, mais avant tout une sorte de "sage" à sa manière sicilienne. Ses décisions étaient pesées, pensées, lentement mûries. Cette pondération intérieure, la classe quasi aristocratique du "Parrain", trouvaient leur reflet dans la mise en scène du réalisateur. Longues scènes festives, séquences étirées qui prenaient le temps d'observer les personnages, gestes et paroles mesurés. L'âge semblait avoir déposé sa chape d'engourdissement, de réflexion, sur les faits et les êtres. Ce qui n'empêchait pas, ponctuellement, la violence d'exploser. 
 
 Ici, la dominante est tout autre. Nous avons affaire à de jeunes loups, à une mafia de la rue. Le bouillonnement intérieur, l'excitation permanente, l'absence de circonspection, la soumission immédiate et naturelle aux réactions instinctives, sont le pain quotidien du trio. En harmonie avec cette frénésie juvénile, la mise en scène de Scorcese se fait énergique, turbulente. Le découpage en scènes courtes, le survol de personnalités multiples, hautes en couleur, les sauts de puce entre les différentes étapes majeures du parcours des trois hommes, outre qu'ils procurent à la narration une vie intense, traduisent avec évidence la boulimie véhémente qui les agite. Avec une mention toute particulière, cela va de soi, pour Le Tommy de Joe Pesci, qui n'a pas volé son Oscar du meilleur second rôle en 1990. Merveilleusement doublé par son "ombre" habituelle, il compose un psychopathe survolté, délirant, toujours en déséquilibre sur le fil du rasoir, oscillant sans cesse entre humour bon enfant décapant et folie meurtrière glacée. Il colore, à lui seul, toute l'histoire d'un voile sanglant inoubliable. A ses côtés, Henry et surtout Jimmy semblent presque incarner l'équilibre. Si le destin construit par eux n'en avait décidé autrement, ils auraient peut-être pu, dans leur troisième âge, devenir des Don Vito ! 
 
 Contrairement à la démesure qu'il manifestera dans "Gangs of New-York", Scorcese cerne ici ses personnages au plus près, ne composant, même lors des règlements de compte, que des scènes quasi intimistes. Cette approche, peu spectaculaire, a l'immense mérite de permettre au spectateur de vibrer au plus près des événements, des motivations internes, de l'(in)humanité maladive des individualités. L'intérêt n'est pas noyé dans les mouvements de foule brillants, ne se dilue pas dans la richesse d'un décor grandiose. C'est du concentré pur jus, sauvage, survitaminé, à peine apaisé par les commentaires en voix off de Henry, le narrateur. 
 
 Une exceptionnelle réussite.
   
Bernard Sellier