Aviator, film de Martin Scorcese, commentaire

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Aviator,
        2004,  
 
de : Martin  Scorcese, 
 
  avec : Leonardo DiCaprio, Cate Blanchett, Kate Beckinsale, John C. Reilly, Alec Baldwin, Alan Alda, Ian Holm, Jude Law, Frances Conroy,Willem Dafoe,
 
Musique : Howard Shore


 
Une portion de la vie mouvementée du milliardaire Howard Hughes (Leonardo DiCaprio), producteur passionné de cinéma, même s'il n'a été le réalisateur que de deux films ("Hell's Angels" & "The Outlaw"), fanatique d'aviation, depuis sa rencontre avec Katharine Hepburn (Cate Blanchett), jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale, lorsqu'il est sommé, par le Sénateur Ralph Owen Brewster (Alan Alda), de comparaître devant une commission parlementaire pour dilapidation de l'argent des contribuables. 
 
 Martin Scorcese aime les personnages riches, contrastés, dans la personnalité desquels se mélangent ombres et lumières. Souvent, d'ailleurs, une ombre beaucoup plus intense que son opposé. Individualité hors du commun, par son immense fortune, bien sûr, mais surtout par sa capacité à s'investir corps, âme et biens dans ses passions (celles-ci étant au nombre de trois (majeures) : les femmes, le cinéma et l'aviation), Howard Hughes était sans conteste un sujet parfait pour un parcours biographique rayonnant. Et, de fait, les grands moments ne manquent pas au cours de ces deux heures quarante. Ce qui est bien le moins que l'on pouvait attendre pour l'exploration de la vie de ce mégalomane visionnaire. Séquences spectaculaires : le crash aérien duquel il réchappa par miracle, le premier vol de son double quadri-réacteur transformé pour les essais en hydravion. Séquences intimistes : sa relation houleuse avec l'excentrique et hyper-extravertie Katharine Hepburn. Ou encore politico-médiatiques : la comparution devant la commission d'enquête. Tout le film repose sur les épaules, que l'on aurait pu croire frêles, de Leonardo DiCaprio. Il est vrai qu'on l'avait déjà découvert, étonnant d'énergie, dans "Gangs of New-York", bien éloigné du gentil séducteur qui l'avait révélé dans "Titanic".  
 
 Pourtant, bien que son âge soit en adéquation avec celui de son personnage, lorsque commence l'histoire, en 1930, avec le tournage mouvementé de "Hell's Angels", il paraît bien frêle dans le rôle de ce milliardaire tout puissant. Il est difficile de sentir la vraisemblance dans son incarnation, certes dense et véhémente, tant la fragilité semble l'emporter sur la supposée puissance intérieure du magnat. Mais, rapidement, le choix fait par Scorcese apparaît sous un jour beaucoup plus intelligent qu'on aurait pu le croire a priori. Hughes, sous ses dehors de volontarisme et d'assurance, est en fait un être d'une grande instabilité psychologique. Traumatisé par l'épidémie de choléra qui décime Houston en 1913, lorsqu'il a huit ans, il est depuis sujet aux phobies, et celles-ci ne vont que s'amplifier au cours de son existence. C'est d'abord celle de la foule, des flashes qui crépitent, mais aussi et surtout celle des microbes. Il en voit partout, dans les toilettes, sur les couverts, sur le revers de la veste d'un interlocuteur. Cette obsession, peut-être amplifiée par les traumatismes tant physiques que psychiques subis, prendra peu à peu la forme d'une véritable paranoïa, et la manière abrupte dont Scorcese clôt son film semble masquer une fin de vie placée sous des auspices bien sombres. D'ailleurs, les activités de production se termineront en 1957, alors que Hughes ne mourra qu'en 1976. A partir du crash qui laisse le milliardaire entier, mais fort abîmé, l'incarnation de DiCaprio prend soudain une épaisseur insoupçonnée. Le fou de cinéma et d'aviation a mûri, sans pour autant perdre sa combativité et son génie prophétique. La politique, la création industrielle ont pris le pas (tout au moins dans le film !) sur la vie intime et l'attirance pour les actrices.  
 
 Malgré de grands et beaux moments, malgré une reconstitution d'époque soignée, comme toujours chez le réalisateur, malgré quelques acteurs magnifiques (Cate Blanchett est, comme toujours, envoûtante !), on ressort de cette fresque avec une certaine insatisfaction. Comme si les cent soixante minutes consacrées à ce créateur insatiable n'avaient qu'effleuré le personnage. Comme si la folie qui l'animait à chaque instant n'avait pas réussi à traverser l'écran pour bousculer le spectateur, se contentant d'être montrée avec talent. La sagesse paraît avoir pris le pas sur la dérive passionnelle. C'est presque toujours grandiose, mais le coeur et l'âme vibrent peu. C'est regrettable !
   
Bernard Sellier