Cleopâtre, (Cleopatra), film de Joseph L. Mankiewicz, commentaire

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Cleopâtre,
      (Cleopatra),     1963,  
 
de : Joseph L.  Mankiewicz, 
 
  avec : Elizabeth Taylor, Rex Harrison, Richard Burton, Martin Landau, Gregoire Aslan, Pamela Brown, Roddy McDowell, Hume Cronyn,
 
Musique : Alex North


 
Jules César (Rex Harrison) vient de vaincre à Pharsale, Pompée, son ancien "associé", qui s'enfuit en Egypte. Tandis que Marc-Antoine (Richard Burton) rentre à Rome, César se rend en Egypte où une rivalité mortelle divise les deux dirigeants du pays : Cléopâtre (Elizabeth Taylor) et son frère Ptolémée (Richard O'Sullivan). Rome est en effet "tutrice" du pays des Pharaons. Lorsque le vainqueur des Gaules arrive avec une petite troupe à Alexandrie, il est accueilli plus que froidement par Ptolémée, dont la soeur s'est, paraît-il, enfuie dans le désert. En fait, elle réintègre le palais royal de nuit, dissimulée dans un tapis. Sa volonté est claire : que César balaie son frère, afin qu'elle seule, fille d'Isis, règne sur le pays. Le général romain fait mettre le feu aux navires egyptiens qui menaçaient de l'attaquer, mais l'incendie se propage aux bateaux marchands du port d'Alexandrie et à la grande bibliothèque qui est détruite. César devient l'époux de Cléopâtre et lui donne un fils, Cesarion. Contraint de rentrer à Rome, il y est nommé "dictateur". Mais son désir est de devenir Roi, ce qui n'est guère du goût de nombreux sénateurs, parmi lesquels Cicéron (Michael Hordern) et surtout de son propre fils adoptif, Brutus (Kenneth Haig). Cléopâtre arrive en grande pompe à Rome, accompagnée de son fils. Nous sommes bientôt aux Ides de Mars... 
 
 Difficile d'imaginer que le même réalisateur ait pu donner naissance à ce colossal peplum (auquel deux autres metteurs en scène ont aprticipé : Rouben Mamoulian et Darryl F. Zanuck), et à ces petits bijoux d'humour intimiste que sont "Les aventures de Madame Muir" (1947) ou "Le limier" (1972), son dernier film. Ici, nous sommes dans le colossal, le grandiose, le démesuré. Dans l'époque héroïque où les décors majestueux et les foules qui se présentaient à nos yeux ne sortaient pas d'un ordinateur.  
 
 Les moments majestueux, visionnaires, ou intenses ne manquent pas : le tombeau d'Alexandre, l'entrée de Cléopatre à Rome, l'assassinat de César, la bataille d'Actium, le palais d'Alexandrie... A côté de ces séquences royales, s'installent de nombreuses scènes intimistes, dans lesquelles l'analyse psychologique le dispute à la manipulation politique. L'équilibre entre ces deux opposés n'est pas facile à tenir sur une durée aussi importante (quatre heures !). Le réalisateur y parvient cependant bien, même si maints passages sont particulièrement verbeux. Les personnages prennent, malgré le décorum qui les écrase parfois, une dimension supra humaine, qui les place d'emblée au panthéon des créateurs de l'histoire. Si les raccourcis narratifs sont inévitables dans une exploration qui couvre plusieurs années (on a l'impression que les allers et retours à Rome se font en Concorde !), il n'en demeure pas moins que les différents intérêts, jalousies, haines, manipulations, sont rendus avec une énergie spectaculaire qui ne masque jamais la profondeur. 
 
 Cette œuvre a permis la révélation d'Elizabeth Taylor. Il faut dire que si les décorateurs n'ont sans doute pas chômé, les costumiers, eux, ont dû s'en donner à coeur joie ! Il serait intéressant de décompter le nombre de tenues, toutes plus affriolantes, somptueuses et impériales les unes que les autres, qu'endosse l'actrice au cours de ses apparitions ! Ne parlons même pas de ses coiffures qui captent le regard comme le ferait une rivière de diamants. L'excès n'est sans doute pas loin. Pourtant, malgré tout ce clinquant et ce faste superficiels, la personnalité profonde ne parvient pas à être occultée, tant la flamme qui irradie cette femme-reine s'exalte en permanence au contact des hommes qui la convoitent. Le face à face avec César ne manque pas de piment, mais c'est évidemment sa confrontation guerrière avec Antoine-Burton qui s'impose comme magistrale, annonçant à plusieurs reprises les scènes de ménage infernales que Mike Nichols mettra en scène trois ans plus tard, dans "Qui a peur de Virginia Woolf". Richard Burton et Rex Harrison ne manquent ni de grandeur ni de charisme dans l'incarnation de ces deux personnalités géantes, parvenant même à insuffler une certaine authenticité à leurs prestations. Sans doute est-il plus difficile d'oublier le masque de la star Elizabeth Taylor, derrière la voluptueuse et plantureuse plastique de la Reine d'Egypte. Cette rutilance des costumes (astiqués au point de rivaliser avec les rayons solaires), des décors, paraît étrange aujourd'hui, lorsque l'on entre, par exemple, dans le monde d'"Alexandre", revisité par Oliver Stone, dans lequel la splendeur cohabite avec la noirceur ou le nauséeux. Vestige d'une époque révolue, cette oeuvre à la mégalomanie aussi désarmante que magnétique, à la grandiloquence souvent excessive, demeure tout de même un joyau précieux.
   
Bernard Sellier