Le Comte de Monte-Cristo, film de Robert Vernay, commentaire

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Le comte de Monte-Cristo,
     1943,  
 
de : Robert  Vernay, 
 
  avec : Pierre-Richard Willm, Marcel Herrand, Michèle Alfa, Aimé Clariond, André Fouché, Henri Bosc, Marie-Hélène Dasté,
 
Musique : Roger Desormières

 
 
Edmond Dantes (Pierre-Richard Willm) a tout pour être heureux : la jeunesse, la beauté, une charmante fiancée, Mercedes (Michèle Alfa), et un poste de capitaine à bord du "Pharaon", que lui offre son armateur marseillais, Monsieur Morrel (Charles Granval). Mais, le soir de ses fiançailles, la foudre tombe. Dénoncé comme pro-bonapartiste par Fernand (Henri Bosc), cousin de Mercedes et amoureux d'elle, ainsi que par Caderousse (Alexandre Rignault), qui espérait devenir capitaine, il est emprisonné sans jugement au château d'If. C'est là qu'il fait la connaissance d'un vieux prisonnier mystérieux, l'abbé Faria (Ermete Zacconi)... 
 
 Nous sommes ici dans la première version que Robert Vernay tournera à partir du célèbre roman de Dumas. Dix ans plus tard, il en livrera une seconde, avec Jean Marais dans le rôle d'Edmond Dantès ! C'est dire que, contrairement à Kevin Reynolds qui avouait publiquement, lors de la sortie de l'affligeante "Vengeance de Monte-Cristo", son mépris pour le roman !, il semble évident que le réalisateur éprouve une passion certaine pour cette oeuvre totalement envoûtante, même si, dans un encart préliminaire, il "informe" le spectateur que certains lui reprochent (à l'ouvrage) son excès de romantisme ! Pour autant, cette vision se révèle passablement déroutante et n'apporte pas l'enchantement que l'on était en droit d'espérer. 
 
 À la vision de ce film d’une respectable durée (3 h), par ailleurs bien rempli, exempt de longueurs, et qui, pourtant, semble vidé des trois quarts de la richesse originelle, on se rend compte de la difficulté d’adaptation d’une œuvre romanesque aussi foisonnante que remarquablement construite ! Mais examinons tout d’abord le choix de l’acteur principal, si important pour la tenue dramatique et la crédibilité de la transcription cinématographique. A l’époque, le pouvoir sauvage du marketing n’avait pas encore frappé, comme ce fut le cas, plus récemment, pour la version télévisée de Josée Dayan. Gérard Depardieu a beau être un acteur génial (dans le comique…), il est tout sauf un Edmond Dantès vraisemblable ! Autant Jean Marais, Louis Jourdan, et, dans le cas présent, Pierre-Richard Willm, possèdent le charisme, la distinction naturelle, l’aura aristocratique, le magnétisme autoritaire, qui sont les caractéristiques du héros de Dumas, autant Depardieu est étranger à ces qualités. 
 
 Cela constaté, cette première version de Robert Vernay surprend par maints aspects parfois déconcertants, dont on perçoit mal, pour certains, la motivation. Tout d’abord, le personnage de Danglars, second en importance après Dantès, disparaît corps et biens, remplacé par Caderousse. Etrange et inquiétant... De nombreux pans romanesques se volatilisent (les amours de Maximilien Morrel et de Valentine ; les actions "spéciales" de Madame de Villefort...). Ensuite, de curieux choix narratifs sont adoptés. Certains événements (par exemple l’origine de Benedetto), révélés très progressivement et le plus tardivement possible dans l’ouvrage, sont ici dévoilés précocement, Une partie du mystère est ainsi sabordé, sans que l’on parvienne à découvrir l’apport positif ou constructif de ce changement. Ensuite, et ce n’est pas le moindre des regrets, l’obligation de provoquer de larges coupes dans le récit impose des explications qui sont, en l’occurrence, fournies d’une manière basique et scolaire. Cela donne l’impression d’une série de tableaux auxquels il manque un liant naturel et, surtout, une poésie suggestive ainsi qu’une continuité dramatique partiellement mise à mal lors des changements de séquences. 
 
 Enfin, tout en prenant conscience que nous sommes particulièrement exigeants, il est dommageable que les scènes de châtiment soient bien prosaïques, que Michèle Alfa incarne une Mercédès banale, et surtout que Monte-Cristo soit ici ravalé au rang d’un homme simplement épris de vengeance, alors que le personnage de Dumas, infiniment plus riche psychologiquement et spirituellement, s’élève au rang d’agent ordonnateur de la loi karmique. Quant à la musique, le moins que l'on puisse dire est qu'elle n'est guère en situation la plupart du temps. Question d'époque sans doute... 
 
 Mais en fait, si l’on réduit ses désidératas, si l’on ne connaît pas par cœur le roman de Dumas, il est légitime d’apprécier la bonne tenue générale de l’œuvre, et le fait que Pierre-Richard Willm approche de très près l’idéal dans la personnification d’Edmond Dantès.
   
Bernard Sellier