Bienvenue sur le site d'un manipulateur de mots, passionné d'écriture, de cinéma, de musique, d'ésotérisme...     

La vengeance de Monte Cristo,
      (The count of Monte Cristo),       2002, 
 
de : Kevin  Reynolds, 
 
  avec : Jim Caviezel, Guy Pearce, Richard Harris, James Frain, Michael Wincott, Dagmara Dominczyk, 
 
Musique : Ed Shearmur


   
Edmond Dantès (Jim Caviezel) est second à bord du "Pharaon", navire armé par la compagnie marseillaise de Monsieur Morrel. A son retour d'un voyage commercial au cours duquel le commandant est mort, Dantès est nommé capitaine par l'armateur qui le tient en haute estime. Mais cette nomination provoque la jalousie de Danglars (Albie Woodington), qui espérait le poste, et de Fernand Mondego (Guy Pearce) qui est amoureux de la jolie fiancée de Dantès, Mercedes (Dagmara Dominczyk). Accusé de trahison au profit de Napoléon, alors retenu à l'île d'Elbe, Edmond est jeté en prison, au château d'If, par le Procureur du roi, monsieur de Villefort (James Frain). Il y restera bien des années avant de pouvoir exécuter une terrible vengeance... 
 
   "Le comte de Monte Cristo" est sans conteste, pour moi, le roman que j'emmènerais sur une île déserte. C'est dire la passion que j'éprouve pour cette tragédie où l'aventure rencontre à chaque page la passion, le mystère, et le mysticisme dans une construction narrative d'une exceptionnelle maîtrise. Beaucoup d'adaptations ont été faites de cette oeuvre qui ne semble pas, a priori, difficile à transcrire visuellement, mise à part sa longueur, tant son déroulement est une merveille de progression dramatique et de subtilité psychologique. Pas une ne m'a satisfait. Tantôt les raccourcis, charcutages, émasculaient la trame du récit au point de faire quelquefois disparaître totalement certains personnages. Tantôt, comme c'est le cas pour l'adaptation télévisée de Josée Dayan, un contresens absolu, dès le commencement, m'avait découragé de poursuivre la vision. Sans compter que Gérard Depardieu est tout ce que l'on veut, excepté le personnage élégant, distingué, spirituel, fin, d'Edmond Dantès ! Mais il n'empêche que la plus médiocre d'entre elles constituait, face à ce que nous livre aujourd'hui le cinéma américain, un chef d'oeuvre immédiat et incontestable ! Ici, nous touchons le fond du tréfonds de l'abîme ! Je me suis souvent frotté les yeux pour vérifier qu'il ne s'agissait pas d'un cauchemar, que j'étais bel et bien en train de regarder la prétendue mise en images du sommet romanesque de Dumas ! 
 
   Par où commencer ?  
 
   Peut-être, d'abord, par une pensée émue pour ce pauvre Alexandre qui a dû avoir une attaque dans l'au-delà, s'il a visualisé cette... chose innommable que les Américains ont eu le culot d'appeler du nom de son plus célèbre roman. La première question que je me suis posée était la suivante : comment peut-on aimer Dumas et produire ça ? En relisant le commentaire paru dans les "Années Laser", numéro 88, la réponse m'a été donnée : Kevin Reynolds avoue avec une franchise proche de l'inconscience la plus absolue, dans son commentaire audio, que "son film est bien meilleur que le (gros & ennuyeux !) bouquin de Dumas". On croit rêver mais on a l'avantage de voir tout de suite à quel type de transcription cinématographique méprisante nous aurons affaire ! 
 
   Ensuite, afin de décompresser quelque peu, calmer la colère qui bouillonne devant un tel ramassis d'inepties, une tentative d'humour : ce film devrait entrer dans le Livre des Records. Absolument ! Pour le nombre de trahisons d'un ouvrage dont il est, paraît-il, l'adaptation ! Car, somme toute, que reste-t-il de la trame romanesque, des 1500 pages où chaque personnage, chaque situation, chaque rencontre font partie intégrante d'un puzzle dont la moindre pièce participe à la cohésion de l'ensemble ? Même pas le squelette ! Seulement quelques noms : Dantès (devenu, dans le cours du cataclysme scénaristique : Zatara !!!), Mondego, Danglars, Morrel, Faria, (tandis que d'autres, d'ailleurs se sont curieusement métamorphosés : le père de Villefort, Noirtier, est devenu, on ne sait pourquoi, Clarion !!!), perdus au milieu d'un ramassis de délires hollywoodiens qui vont de coups de fusil tirés par Edmond sur les soldats anglais de l'île d'Elbe, à une arrivée parisienne de Monte Cristo en montgolfière sur fond de feu d'artifice, en passant par un Danglars devenu armateur,tentant de voler l'or de Dantès et finissant pendu, ou un Albert de Mortcerf métamorphosé en fils de Dantès... On n'en finirait plus d'énumérer les aberrations pathologiques d'un scénariste sans doute sorti d'un cours des Monthy Python ! Prenez un roman que vous connaissez bien, essayez d'imaginer, à partir de sa trame, le n'importe quoi le plus total, et vous approcherez à peine de l'affligeante réalité que Kevin Reynolds nous livre... 
 
   Pour ceux qui n'auraient pas lu ce livre génial et comprendraient mal le désarroi et la colère d'un admirateur de cette fresque, passionnante de bout en bout, imaginez simplement une version des "Trois Mousquetaires" dans laquelle D'Artagnan deviendrait un traître à la solde des Anglais, enverrait des sbires pour assassiner ses amis Athos, Porthos et Aramis, ou une adaptation de "Notre Dame de Paris" dans laquelle Quasimodo serait un jeune premier, époux de Esmeralda, partant en expédition sur un navire corsaire commandé par Claude Frollo... Vous aurez une très légère idée de ce qu'est cette monstruosité appelée "Vengeance de Monte Cristo" et qu'il serait beaucoup plus judicieux d'appeler "La vengeance de Kevin Reynolds contre Dumas"... Je préfère ne pas parler de Jim Caviezel qui est un acteur que j'aime. J'ose espérer qu'il ignore tout de ce qui lui a été demandé...  
 
   Je reconnais ne pas avoir le courage de parler du film en tant que tel. Au moment où la beauté est défigurée, salie, foulée aux pieds, l'écoeurement est tel que l'aveuglement devient une source de réconfort. 
 
   Il est vrai qu'il peut être tout à fait acceptable, à condition de respecter l'intégrité générale, d'ajouter quelques à-côtés, de renforcer l'intensité dramatique lorsque l'ouvrage de départ manque d'impact émotionnel. Mais lorsque l'on s'avise de laminer totalement la puissance dramatique, de supprimer toutes les subtilités psychologiques qui constituent son fondement même, alors ce n'est même plus du mépris, c'est de la stupidité pure et simple !  
 
   En revanche, pour ceux qui ont lu le livre, connaissent bien sa logique implacable, sa noblesse bouleversante, son élévation mystique, et sont indifférents au traitement qui lui a été infligé ici, cette version totalement atterrante aux dialogues affligeants, peut être source d'un bidonnement permanent et hautement jouissif... 
 
   Débilissime et, surtout, honteux. 
 
  P.S. Aux dernières nouvelles, Kevin Reynolds a l'intention de s'attaquer aux "Misérables" de Victor Hugo... Si la transposition est du même acabit, préparons-nous à gagner les abris !!!
   
Bernard Sellier