Cyrano de Bergerac, film de Jean-Paul Rappeneau, commentaire

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Cyrano de Bergerac,
    1990, 
 
de : Jean-Paul  Rappeneau, 
 
  avec : Gérard Depardieu, Jacques Weber, Philippe Volter, Anne Brochet, Vincent Perez, Pierre Maguelon,
 
Musique : Jean-Claude Petit


 
Lire le poème (CinéRime) correspondant : ' À la faucheuse '

 
Est-il vraiment indispensable de résumer cette pièce hyper connue ? Cyrano de Bergerac (Gérard Depardieu) est un Gascon dont la laideur lui interdit de penser à l'amour. Et pourtant son coeur appartient à sa ravissante cousine, Roxane (Anne Brochet). Le jour où il apprend qu'elle est amoureuse du beau Christian de Neuvillette (Vincent Perez), il accepte d'écrire pour ce dernier les lettres d'amour que le jeune homme se sent impuissant à composer. Mais le comte de Guiche (Jacques Weber), jaloux, envoie la compagnie des Cadets de Gascogne au siège d'Arras... 
 
 Au jeu bien connu des musiques ou des ouvrages à emporter sur une île déserte, deux m'accompagneraient sans l'ombre d'une hésitation : "le Comte de Monte-Cristo" pour les romans, et, dans la catégorie théâtre, le "Cyrano de Bergerac" d'Edmond Rostand. C'est dire l'amour dans lequel je tiens cette oeuvre et le dépit que j'ai pratiquement toujours éprouvé devant des interprétations qui ne correspondaient pas à la conception profonde que j'ai de ce drame.  
 
 Par une coïncidence qui n'est pas véritablement un hasard, puisque Gérard Depardieu est, de loin, l'acteur le plus polyvalent que recèle notre pays, il a incarné les deux personnages principaux de ces deux chefs-d'oeuvre. Ici, dans la réalisation de Jean-Paul Rappeneau, et le marin Edmond Dantès dans le film de Josée Dayan. Et, pour dire les choses sans détour, autant je considère son choix pour personnifier le Comte de Monte-Cristo comme une pure aberration, dictée par le marketing cinématographique, autant l'idée de lui confier le rôle de Cyrano s'impose comme une évidence. Il couvre avec aisance l'éventail psychologique de ce héros brisé, passant de la truculence maîtrisée à la douce tendresse avec un naturel parfait. Avant d'en venir au contenu lui-même, quelques simples remarques sur cette transposition cinématographique. Jean-Paul Rappeneau était, me semble-t-il, le réalisateur idéal pour cette entreprise : un sens aigu du rythme (on se rappelle avec jouissance "Les mariés de l'an II", "Le sauvage" ou le tout récent "Bon voyage"), et un talent inné pour insuffler un lyrisme vivifiant à l'oeuvre. Il a choisi, avec goût, une judicieuse aération en extérieurs, dans laquelle s'intègrent délicatement les vers de Rostand et la composition scénique. Les quelques rares ajouts (par exemple Christian sauvant Roxane des Espagnols) ne nuisent en rien au déroulement dramatique. Bien au contraire, ils s'y intègrent parfaitement. Seul petit bémol dans cette transcription : la composition d'Anne Brochet, trop monocorde et insuffisamment expressive, à mon goût. Mais c'est là un bien infime détail... 
 
 Y a-t-il beaucoup de pièces qui laissent à ce degré transpirer la vie par tous leurs pores ? La vie dans toutes ses composantes, dans ses délires, ses passions, ses désespoirs, ses masques, ses envolées lyriques, ses murmures de tendresse, ses éclats gouailleurs, ses rodomontades, ses sacrifices ? A-t-on souvent réussi le miracle de mêler dans la simplicité des mots, les emportements du coeur et les hurlements de l'âme blessée ? La souffrance de l'être qui ne peut recevoir d'amour, porte toute la détresse du monde et cependant se sacrifie pour celle qui est son univers ? Comment citer toutes les beautés de ce texte qui coule, limpide et chantant, enchâssant ses syllabes dans de merveilleux écrins qui scintillent alternativement de l'éclat des lames ou des larmes ? Le duel oral et physique avec le Vicomte de Valvert (Philippe Volter), la tirade des "nez", le récit du combat contre cent, la scène du balcon, la descente de la lune (écourtée, d'ailleurs), et, enfin, surtout, cette fin déchirante... Dans ce tissu de poésie permanente, qui tient plus encore à l'intensité quasi spirituelle du fond, qu'à la forme en alexandrins, il serait presque indécent de se pencher sur la psychologie de Cyrano qui, à elle seule, justifierait une étude approfondie. Mais laissons cela aux disséqueurs scientifiques et laissons la mélodie des mots bercer notre âme. 
 
 "Moi, je ne suis qu'une ombre, et vous une clarté"... 
 
 Un seul mot suffit : sublime !
   
Bernard Sellier