Entre ses mains, film de Anne Fontaine, commentaire

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Entre ses mains,
       2005, 
 
de : Anne  Fontaine, 
 
  avec : Isabelle Carré, Benoit Poelvoorde, Jonathan Zaccaï, Valérie Donzelli, Bernard Bloch,
 
Musique : Pascal Dusapin

   
   
Claire Gauthier (Isabelle Carré), employée dans une compagnie d'assurances, fait un jour la connaissance d'un homme étrange, vétérinaire, Laurent Kessler (Benoit Poelvoorde), venu déclarer un sinistre. Mariée à Fabrice (Jonathan Zaccaï), mère d'une petite Pauline (Agathe Louvieaux), la jeune femme est heureuse. Pourtant, elle est attirée par Laurent, personnalité complexe et déroutante. Elle accepte quelques rendez-vous anodins avec lui. Pendant ce temps, un tueur en série, responsable de l'assassinat de plusieurs jeunes femmes dans la région de Lille, est activement recherché par la police... 
 
   Voilà un film intelligent, pénétrant, écrit avec subtilité, souvent émouvant, qui, malgré cela, laisse, de prime abord, une impression mitigée. Les cartes sont pourtant distribuées, dès le commencement, sans équivoque. S'il y a bien, sous-jacente, la présence d'un tueur en série, sa neutralisation ne constitue pas le pivot central de l'histoire. Nous ne sommes ni dans "Seven", ni dans "Le silence des agneaux". Tout le sel de la narration est focalisé sur les relations humaines de deux êtres à la personnalité complexe. Emportées vers des sommets de naturel et de sincérité par Isabelle Carré et Benoit Poelvoorde, les individualités de ces solitaires, plus ou moins torturés par des blocages intérieurs d'autant plus dangereux qu'ils sont indécelables, se frôlent, se testent, s'observent, se heurtent, tentent désespérément de s'apprivoiser.  
 
   Toute l'intensité, en grande partie retenue, toute l'ambiguïté, toute la richesse du drame reposent sur eux, laissant dans l'ombre les personnalités secondaires, réduites à l'état de silhouettes presque superflues. Une des grandes réussites du film est de placer le spectateur dans la même incertitude psychologique, dans la même position d'attente, de doute, quasiment de frustration, que celles vécues par Claire. Jeune femme apparemment saine de corps et d'esprit, livrant à son entourage les masques d'une mère et d'une amante comblées, elle se laisse pourtant glisser dans une zone de sables mouvants, laissant l'introversion et la mélancolie submerger progressivement sa nature ouverte et spontanée. Le spectateur est, lui aussi, emporté subrepticement dans ce que l'on devine être une descente aux enfers. Mais le parcours n'est pas franchement balisé, la progression se révèle hasardeuse. Nous sommes confrontés à des baisses de régime. Certaines séquences se répètent sans faire avancer l'intrigue, sans apporter d'aliment tangible à l'analyse psychologique. D'autres, a contrario, semblent nous emporter au bord d'une explosion volcanique inévitable. Un peu l'équivalent de ce qui se passe dans la vie de Claire, parfois ballottée sur les vagues d'une mer houleuse, entre répulsion instinctive et attirance magnétique, parfois reposant en eaux calmes. 
 
   Globalement, le ton du film est régi par une dominante passive, composée d'éruptions invisibles (excepté une scène particulièrement brutale), de désirs contenus, de souffrances muettes. Cependant, si l'on peut regretter quelques passages à vide, cette tragédie intime laisse une marque durable, dont la profondeur est inversement proportionnelle au calme faussement débonnaire qui enveloppe la plus grande partie de l'oeuvre.
   
Bernard Sellier