Grand Canyon, film de Lawrence Kasdan, commentaire

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Grand canyon,
       1991, 
 
de : Lawrence  Kasdan, 
 
  avec : Kevin Kline, Danny Glover, Steve Martin, Mary McDonnell, Mary Louise Parker, Alfre Woodard,
 
Musique : James Newton Howard

   
   
Mack (Kevin Kline), riche avocat, est marié à la douce Claire (Mary McDonnell). Ils ont un fils, Roberto (Jeremy Sisto). Un soir, après avoir assisté avec son ami Davis (Steve Martin), producteur de films gore, à un match de basket, Mack tombe en panne de voiture dans un quartier "chaud" de Los Angeles. Il est sur le point d'être agressé par trois braqueurs, lorsque survient, à point nommé, le dépanneur qu'il a fait appeler, Simon (Danny Glover). Dans les heures qui suivent, Davis reçoit une balle dans la jambe, tirée par un minable voleur de montres, Claire découvre dans un fourré une fillette abandonnée, Dee (Mary-Louise Parker), secrétaire de Mack, souffre de l'amour impossible qu'elle éprouve pour lui, et Deborah (Tina Lifford), la sœur de Simon, voit sa modeste maison mitraillée par un gang. La vie de tous ces personnages évolue au gré des événements plus ou moins dramatiques et de l'interaction des uns sur les autres... 
 
   Précurseur dans le fond, sinon dans la forme, des récents "Un monde meilleur" et "L'effet papillon", le film de Lawrence Kasdan aborde, avec sensibilité, objectivité, et sans manichéisme, la cascade d'effets qui peut naître d'une circonstance a priori futile. Réflexion passionnante sur le rôle des "coups" du destin, celui de la chance, sur la signification des "hasards", des "synchronicités" chères à Jung, sur le choix directif que l'on donne à sa vie, sur les relations entre "bien" et "mal". Il pourrait être une illustration de cette histoire orientale bien connue :  
 
   "Il y avait, dans un village, un homme très pauvre qui avait un très beau cheval.Le cheval était si beau que les seigneurs du château voulaient le lui acheter, mais il refusait toujours. 

   « Pour moi ce cheval n'est pas un animal, c'est un ami. Comment voulez-vous vendre un ami ? », demandait-il. 

   Un matin, il se rend à l'étable et le cheval n'est plus là. 

   Tous les villageois lui disent : « On te l'avait bien dit ! Tu aurais mieux fait de le vendre, maintenant, on te l'a volé... quelle malchance ! »  
 
   Le vieil homme répond : « Chance, malchance, qui peut le dire ? »  
 
   Tout le monde se moque de lui. Mais 15 jours plus tard, le cheval revient, avec toute une horde de chevaux sauvages. 
 
   Il s'était échappé, avait séduit une belle jument et rentrait avec le reste de la horde.
    
   « Quelle chance ! » disent les villageois. 
 
   Le vieil homme répond : « Chance, malchance, qui peut le dire ? » 
 
   Le vieil homme et son fils se mettent au dressage des chevaux sauvages. 
 
   Mais une semaine plus tard, son fils se casse une jambe à l'entraînement. 

   « Quelle malchance ! », disent ses amis. « Comment vas-tu faire, toi qui est déjà si pauvre, si ton fils, ton seul support, ne peut plus t'aider ! »  
 
    Le vieil homme répond : « Chance, malchance, qui peut le dire ? » 
 
   Quelques temps plus tard, l'armée du seigneur du pays arrive dans le village, et enrôle de force tous les jeunes gens disponibles. 

   Tous les jeunes... sauf le fils du vieil homme, qui a la jambe cassée. 

   « Quelle chance tu as, tous nos enfants sont partis à la guerre, et toi tu es le seul à garder avec toi ton fils. Les nôtres vont peut-être se faire tuer... »  
 
    Le vieil homme répond : « Chance, malchance, qui peut le dire ? »
 
 
   À l'opposé du traitement moderne, spectaculaire, privilégiée par Eric Bress & J. Mackye Gruber, le réalisateur choisit ici l'intimisme, l'exploration intérieure des pulsions vitales, la progression souterraine des prises de conscience, avance par petites touches sensibles, même si quelques rares éclairs de violence ponctuent ça et là le tissu narratif. Les scènes nocturnes, nombreuses, alternent avec celles de jour, ce va et vient permanent symbolisant l'alternance de clarté et de noirceur qui habite la civilisation. La réalité brute se télescope avec des bouffées d'onirisme. Le jeu des acteurs, loin de toute esbroufe ou extraversion théâtrale, se fond avec justesse dans la sobriété ambiante. Les choix sont intelligents, lucides, mais cet ensemble de qualités positives finit par installer une certaine uniformité, dont n'émerge pas clairement un mouvement évolutif franc. L'œuvre donne l'impression de vouloir traduire des bouleversements sismiques intenses dans la personnalité des êtres, tandis que leur expression visuelle demeure étrangement étale. Tous les protagonistes sont en relation les uns avec les autres, des fils se créent là où le vide prévalait, des liens se renforcent là où ils existaient à l'état larvaire, mais toute cette toile d'araignée laisse, au bout du compte, une sensation de neutralité, d'arasement assez surprenante.  
 
   Une descente intéressante dans le maquis des interactions invisibles mais dont la sagesse globale arase les remous suggérés.
   
Bernard Sellier