Harry un ami qui vous veut du bien, film de Dominik Moll

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Harry, un ami qui vous veut du bien,
     2000,  
 
de : Dominik  Moll, 
 
  avec : Sergi Lopez, Laurent Lucas, Mathilde Seigner, Sophie Guillemin, Michel Fau, Dominique Rozan,

Musique : David Whitaker

  
   
Michel (Laurent Lucas), accompagné de sa femme Claire (Mathilde Seigner) et de ses trois filles, part en vacances dans la maison du Cantal qu'il retape petit à petit. Sur une aire d'autoroute, il rencontre un ancien camarade de collège, Harry (Sergi Lopez), dont il se souvient à peine. Harry, lui, ne l'a pas oublié, et désire que la rencontre se prolonge. Il suit donc le couple, accompagné de sa "fiancée" Prune (Sophie Guillemin). Il passe la nuit dans la demeure de Michel et, insensiblement, s'installe dans la vie de son ami... 
 
   Un couple basique, normal. Une rencontre fortuite, normale. Le réveil normal d'une vague relation scolaire passée. Quoi de plus anodin dans tout cela ? Et le film va jouer, durant deux heures, la carte de ce quotidien ordinaire, sur lequel se greffent, ponctuellement des éléments hors normes. La grande réussite de cette narration réside dans la constante coexistence des extrêmes : l'attendu et l'imprévisible ; une intense violence intérieure et une attitude extérieure sinon neutre, du moins raisonnable (si l'on excepte la courte séquence dans laquelle Harry hurle en conduisant comme un fou, son volcan interne ne transparaît que dans le regard), une bonté, un altruisme affichés, contrebalancés par une ligne de conduite directrice, dont l'élimination des "boulets" constitue le dogme...  
 
   L'obsession de Harry, si elle n'est pas sans évoquer celle de Annie Wilkes dans "Misery", comporte plusieurs zones d'ombres. Pourquoi Harry est-il à ce point fasciné par un camarade d'école, perdu de vue depuis vingt ans, au point de se souvenir par cœur de ses poèmes ? On en vient même à se demander si cette rencontre sur l'autoroute est aussi fortuite que cela. Aucune explication ne nous sera accordée, à l'image du conducteur fou du "Duel" de Spielberg. Momentanément, cette gratuité génère une impression de composition psychologique artificiellement montée pour un scénario. Mais l'habileté dans la progression événementielle et dramatique, l'interconnexion troublante qui s'opère entre les deux hommes, au départ fort dissemblables, l'atmosphère d'angoisse savamment distillée, refusant les images choc au profit de la suggestion, font que l'arbitraire, s'il existe, passe largement à l'arrière-plan. 
 
   Sous l'apparence d'une histoire simple, aux protagonistes banaux, (les enfants pleurnicheurs, les beaux-parents "casse-couilles"...) se dissimule une plongée dans les catacombes d'une pathologie d'autant plus anxiogène qu'elle ne laisse apparaître aux yeux du monde que générosité, désir d'aider l'autre, de permettre que se révèle son potentiel. Tout le contraire de ce qui nous est habituellement proposé sous forme de tueurs en série, à la haine transpirante et aux babines écumantes. Ici, nombre des évidences énoncées par Harry font partie des principes de base formulés dans les ouvrages de développement personnel. Ce n'est que dans l'application pratique que se manifeste la démesure pathologique du prédateur. 
 
   Sergi Lopez est prodigieux de fausse bonhomie, dans l'incarnation de ce donneur de leçons marmoréen, qui s'applique à lui-même ce qu'il préconise à autrui. Mais il serait parfaitement injuste d'oublier Mathilde Seigner et Laurent Lucas, tous deux profondément impliqués dans ce drame et particulièrement justes. 
 
   Nous sommes très loin du délire psychotique de "Shining", mais ce jeu d'échecs dans lequel l'unique joueur élimine les pièces adverses est aussi fascinant que glaçant.
   
Bernard Sellier