Frank Louis Beechum (Isaiah Washington) doit être exécuté pour avoir tué une jeune caissière enceinte. Il a toujours nié sa culpabilité, mais deux témoins, qui pourtant n'avaient pas assisté au meurtre, ont suffi à le faire reconnaître coupable. C'est une jeune journaliste de 23 ans, Michelle Ziegler (Mary McCormack), qui est chargée par son directeur, Alan Mann (James Woods), de couvrir l'événement. Malheureusement, elle se tue dans un accident de voiture. La mission échoit alors à Steve Everett (Clint Eastwood), qui traîne son mal-être dans tous les bars de la ville. Rapidement persuadé qu'il s'agit d'une erreur judiciaire, il se met en quête d'un mystérieux personnage qui aurait pu être l'assassin véritable...
Brave Clint Eastwood ! Souvent prêt à défendre la veuve et l'orphelin, que ce soit en cow-boy solitaire ("Pale rider") jadis, ou, aujourd'hui, en journaliste enquêteur, usé, cafardeux et non moins solitaire. Mais cette main secourable ne l'est jamais de manière ostentatoire. Comme s'il craignait de laisser éclater un coeur trop généreux, son altruisme peine à s'extérioriser, cachant sa générosité sous un vernis de bougonnerie qui confine parfois à la sauvagerie.
L'intention affichée ici (la condamnation de la peine de mort) et la base narrative (un journaliste doutant de la justesse du verdict) sont plus que cousines germaines de celles qui forment la substance de "La vie de David Gale". En revanche, les traitement sont radicalement différents. Là où Alan Parker militait avec conviction, sans ambiguité, Clint Eastwood se montre beaucoup plus détaché. Son "redresseur de torts" n'a rien du chevalier blanc qui part superbement en croisade pour défendre la vérité. C'est un vieux briscard, je m'en foutiste, déglingué de toutes parts, qui tente de s'accrocher à la dernière bouée de sauvetage passant à sa portée. Là où Parker dérivait, au final, dans une complexification scénaristique alambiquée, manipulatrice, Eastwood garde le cap de l'intrigue simple, dépouillée, linéaire, évoquant les canevas épurés de certains films noirs des années 40 ou 50. Sans délaisser l'aspect dramatique, sans sacrifier au suspense, sans mépriser la vraisemblance, le réalisateur porte tout de même la majeure partie de son attention sur le personnage de Steve, sorte de paumé vilipendé par tous, ainsi que par lui-même, qui cherche tout autant, sinon plus, sa rédemption, que la sauvegarde d'un innocent.
Nombre de scènes ont été vues cent fois : le patron despote, méprisant (James Woods toujours aussi mordant, même dans les rôles les plus convenus), l'épouse bafouée, délaissée, qui atteint les bornes de l'endurable, les séances de déprime... Pourtant, dans chacun de ces passages "obligés", Clint parvient à insuffler suffisamment de vie, d'énergie, de personnalité, d'humour pince sans rire, pour ne pas les faire sombrer dans le remplissage insipide. Sans oublier la poignante composition que livre Isaiah Washington du condamné. Le rythme est lent, en accord avec la lassitude du héros, mais jamais l'ennui ne pointe. Et même si nous sommes assez loin de la vibrante humanité de "Mystic River", cette oeuvre, qui pourrait, de prime abord, sembler primaire, étale un baume bienfaisant sur le coeur.