Mystic River, film de Clint Eastwood, commentaire

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Mystic river,
      2003,  
 
de : Clint  Eastwood, 
 
  avec : Sean Penn, Tim Robbins, Kevin Bacon, Laura Linney, Laurence Fishburne, Marcia Gay Harden,
 
Musique : Lennie Niehaus, Clint Eastwood

   
   
La banlieue pauvre de Boston, au bord de la "Mystic River". Trois enfants : Jimmy Markum (Sean Penn), Dave Boyle (Tim Robbins), Sean Devine (Kevin Bacon) passent leurs journées à jouer au base-ball et à faire quelques bêtises. Ils sont interpellés, au cours de l'une d'elles, par un homme mystérieux, qu'ils prennent pour un policier. Ce dernier emmène Dave, soi-disant pour le ramener à sa mère. Le jeune garçon ne réussira à s'échapper que quatre jours plus tard, après avoir été violé. Une trentaine d'années ont passé. Tous trois ne se voient plus que très rarement et n'ont conservé aucun lien amical. Sean est devenu policier. Jimmy a trois filles dont l'aînée, Katie (Emmy Rossum) est issue d'une précédente union. Un matin, elle est retrouvée assassinée. Désespéré, Jimmy ne songe qu'à retrouver l'assassin et à se venger. Sean enquête en compagnie du sergent Whitey (Laurence Fishburne)... 
 
   Désespoirs, larmes et ténèbres. Le dernier film de Clint Eastwood ne laisse que bien peu de lumière pénétrer dans ce tissu de vies traumatisées. Dave a construit tant bien que mal, avec Céleste (Marcia Gay Harden), une famille sur la ruine de son enfance décapitée. Jimmy est un écorché vif, ancien taulard, qui reporte sur ses filles un amour déboussolé et anarchique. Quant à Sean qui, des trois, semble au premier abord avoir le mieux négocié le passage à l'état adulte, il reçoit en permanence des coups de téléphones muets de sa femme qui l'a quitté sans qu'il en sache la raison. 
 
   Le drame vécu par Jimmy fait resurgir les fantômes de ce passé que personne n'a réussi à apaiser. Traumatisme physique chez l'un, culpabilité larvée chez les deux autres. La pudeur et la compassion sont deux grandes qualités communes aux films majeurs de Clint Eastwood, au premier rang desquels brillent "Un monde parfait", "Sur la route de Madison" et ce dernier. En revanche, "Mystic river" est, à plusieurs points de vue, l'antithèse du second. Entre Robert Kincaid et Francesca Johnson, toute l'intensité du drame était contenue dans les regards, dans les silences. L'introversion était reine. Ici, la violence intérieure générée par les événements explose. Les visages, surtout dans le cas de Jimmy, livrent sans fard les ravages que la personnalité subit. Et, paradoxalement, tandis que "Sur la route de Madison" affichait une apparente sérénité, pour se clore sur un désespoir muet, contenu, pire que la mort, "Mystic river", qui nous entraîne pendant cent trente minutes dans le cloaque des haines, des non-dits, des souffrances, voit son finale quasiment illuminé par la sublime déclaration d'amour et de confiance, d'une élévation proprement mystique, qu'Annabeth Markum (Laura Linney) offre à son mari Jimmy.  
 
   Commencé classiquement, d'une manière presque banale dans son introduction, l'oeuvre s'élève petit à petit vers une méditation sur les liens invisibles qui sont irrémédiablement tissés entre les destins. L'indépendance qui s'établit, volontairement ou non, entre les vies, n'est jamais victorieuse lorsque le destin en a décidé autrement. Illustration magistrale et sombre des rapports karmiques, dont est conscient Jimmy lorsqu'il dit à sa fille morte, avant de connaître la vérité, ces paroles prémonitoires : "Je sais dans mon coeur que j'ai contribué à ta mort, mais je ne sais pas comment...".  
 
   Et, une fois passé ce souffle dévastateur qui, à l'instar de la carte XIII du Tarot de Marseille ("L'Arcane sans nom") rase ce qui doit être éliminé parce que n'étant plus susceptible d'évoluer, naît un monde nouveau qui, sans doute, aura transmuté les valeurs de vie. 
 
   Que dire de ces trois acteurs, sinon qu'ils ont pénétré la chair de leurs personnages tourmentés et que Tim Robbins et Sean Penn, dans des registres différents, sont grandioses et inoubliables. 
 
   L'avancement en âge réussit décidément merveilleusement bien à Clint Eastwood ! Qui aurait pu deviner, en visualisant, il y a quarante ans, le Joe de "Pour une poignée de dollars", qu'il nous livrerait aujourd'hui cette méditation à la fois crépusculaire et illuminée ? 
 
   P.S. Deux Oscars ont été décernés (février 2004), l'un à Sean Penn, l'autre à Tim Robbins... et ce n'est que justice !
   
Bernard Sellier