Lord of War, film de Andrew Niccol, commentaire

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Lord of war,
     2005, 
 
de : Andrew  Niccol, 
 
  avec : Nicolas Cage, Jared Leto, Jared Burke, Bridget Moynahan, Ian Holm, Ethan Hawke, Donald Sutherland, Jasper Lenz, 
 
Musique : Antonio Pinto, Grace Jones...

 
 
Yuri Orlov (Nicolas Cage), d'origine russe, mais élevé à New-York, dans le quartier de Little Odessa, a fini par découvrir la voie de la réussite. Ce n'est pas la restauration, dans laquelle s'est lancé son frère cadet Vitaly (Jared Leto), mais un commerce beaucoup plus lucratif et, occasionnellement dangereux, celui des armes. Les débuts sont difficiles. Il se fait vertement rembarrer par un roi dans ce business, Simeon Weisz (Ian Holm). Mais la demande est telle qu'il y a de la place pour tous les fournisseurs. Et Yuri se montre particulièrement efficace. Il réussit même dans un tout autre domaine : celui de l'amour. Il réussit à rencontrer et à séduire son égérie de toujours, le superbe mannequin Ava Fontaine (Bridget Moynahan), qu'il épouse... 
 
 "500 millions d'armes circulent dans le monde. Ce qui signifie qu'un humain sur 12 est armé. La question qui se pose est la suivante : comment armer les 11 autres ?" Ce sont les paroles qui ouvrent la confession autobiographique de Yuri Orlov... Dès la première seconde, le film joue la carte du cynisme outrancier, qui, malheureusement, ne relève en rien de l'utopie. Chacun sait que ce sont les Etats-Unis, la France et la Grande Bretagne qui sont les plus puissants fournisseurs d'armes du monde. Et, conjointement, les plus grands donneurs de leçons sur ce qui est du domaine du Bien ou du Mal. L'histoire que conte le film, inspirée de faits réels, enfonce donc des portes ouvertes. Elle n'en est pas moins indispensable, démontant, avec une lucidité aussi monstrueuse que brutale, l'inéluctable pérennité de ce négoce prospère. Abordé dans une courte rétrospective sur la seconde guerre mondiale dans le "Mille milliards de dollars" de Henri Verneuil, le fonctionnement mortifère et néanmoins toujours florissant du système est ici disséqué avec une limpidité affolante. Tous les événements, même apparemment contraires au développement des affaires, sont utilisables et bénéfiques. La guerre froide est-elle dissoute ? Qu'à cela ne tienne ! Des arsenaux énormes ne demandent qu'à trouver preneur. Le marché d'un pays est-il saturé ? Qu'importe, celui de son voisin ne demande qu'à être alimenté !  
 
 La malheureuse Afrique est une terre particulièrement propice au rayonnement des affaires. A travers le personnage du Président Libérien André Baptiste (Eamonn Walker), véritable fou ne songeant, comme son fils Baptiste Jr. (Sammi Rotibi), qu'à supprimer le plus grand nombre de gens, le drame pointe un doigt accusateur sur tous les despotes qui contribuent à transformer leur continent en un charnier infernal. Mais ils ne sont que le dernier maillon d'une chaîne implacable. Lorsqu'on se donne la peine de la remonter, on y trouve Yuri, sorte de Leslie Zevo ("Toys") à la puissance mille, dont la candeur exécrable n'a d'égale que le talent de prestidigitateur. Mais Yuri lui-même n'est qu'un pion utile. La confrontation finale avec Jack Valentine (Ethan Hawke), l'agent du FBI qui le poursuit sans relâche, est, sur ce plan, édifiante. Les vendeurs illégaux sont une bénédiction pour leur pays, lorsque celui-ci ne peut, pour des raisons de bonne tenue politique, fournir des armes à certains dirigeants qui ne sont pas "fréquentables". Le cercle est parfait. Les flammes de l'enfer ne risquent pas de manquer un jour de combustible.  
 
 Dans ce quatrième film, Andrew Niccol a changé de registre. Jusqu'ici, les thèmes de ses oeuvres "The Truman Show" (en tant que scénariste), "Bienvenue à Gattaca" et "Simone" abordaient l'homme d'un point de vue semblable : le personnage n'était pas ce qu'il croyait ou prétendait être. Truman Burbank croyait mener une vie normale dans un monde normal. Vincent Freeman avait pris l'identité d'un être parfait pour parvenir à ses fins. Viktor Taransky avait imposé Simone qui n'était pas vraiment ce qu'il prétendait qu'elle était... Dans le cas présent, avec un aplomb tranquille qui ne le quitte presque jamais, Orlov assume sans ambiguïté son statut de scélérat. En revanche, le ton choisi par le réalisateur n'a pas subi la même évolution. Ce qui ne manque pas de surprendre. En effet, si l'expression froide, détachée, parfois presque badine, se révélait en parfaite adéquation avec l'univers inhumain et glacé de "Gattaca", elle ne manque pas de dérouter dans le contexte plus que "chaud" abordé ici. Est-elle réellement contestable ? Ce n'est pas sûr ! Dans son calme anesthésiant, seulement zébré, ponctuellement, d'éclaboussures sanglantes indispensables, elle glace la moelle peut-être plus efficacement que n'aurait pu le faire une approche agressive et contestataire.  
 
 Certains Initiés pensent que, lorsqu'un certain pourcentage de l'humanité aura atteint un niveau de conscience suffisant pour privilégier l'amour à la haine, l'humanité basculera dans un âge d'or. Avec des hommes comme Orlov, des multinationales toujours plus tentaculaires et des êtres réduits à l'état de consommateurs programmés, plus avides et passifs que jamais, il semble que ce n'est pas pour demain...
   
Bernard Sellier