Un monde parfait, film de Clint Eastwood, commentaire

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Un monde parfait,
    (A perfect world),      1993, 
 
de : Clint  Eastwood, 
 
  avec : Kevin Costner, Clint Eastwood, Laura Dern, Paul Hewitt, Leo Burmester, T.J. Lowther, Keith Szarabajka,
 
Musique : Lennie Niehaus


 
Robert 'Butch' Haynes (Kevin Costner) s'échappe avec un complice de la prison où il est enfermé pour de menus larcins. Ils prennent en otage le petit Phillip 'Buzz' Perry (T.J. Lowther), dont la mère, qui vit seule avec ses trois enfants, est Témoin de Jéovah. Butch, contraint de se débarrasser de son coéquipier, s'attache de plus en plus à son jeune compagnon et s'enfonce avec lui dans une cavale à travers le Texas. Le Shérif Red Garnett (Clint Eastwood), qui avait fait incarcérer Butch, afin de lui éviter l'influence néfaste de son père, se lance à sa poursuite, en compagnie d'une psychologue-criminologue, Sally Gerber (Laura Dern) et d'un agent spécial Bobby Lee (Bradley Whitford), dont les présences lui ont été imposées par le Gouverneur. Tout cela se passe quelques jours avant la visite de John Kennedy à Dallas... 
 
 Les années 92-93 marquent vraiment le passage de Clint Eastwood-réalisateur, dans le monde des créateurs hautement inspirés. Avant de s'enfoncer dans les drames récents, intégralement sombres, ("Mystic River" ou "Million dollar Baby"), il donnait naissance à deux merveilles mi-claires, mi-obscures, "Sur la route de Madison" et celui-ci. Son thème de prédilection : la solitude, est à nouveau à l'ordre du jour. Butch n'a pratiquement pas eu de relations positives avec son père, sa mère s'est suicidée, et il a tué à l'age de huit ans un homme qui agressait celle-ci. Autant dire qu'il a tout pour être, comme il le dit lui-même, d'une "race à part". Mais, contrairement aux personnages qui suivront, de Dave Boyle ("Mystic River") à Frankie Dunn ("Million dollar Baby"), en passant par Jimmy Markum ("Mystic River"), Butch possède au fond de lui une large part d'innocence et de pureté infantile. Obsédé par les voitures "Ford", capable d'oublier l'urgence de sa fuite pour contraindre un homme à prononcer des mots d'amour envers son petit-fils, il joue au gendarmes et aux voleurs avec la simplicité d'esprit d'un adolescent. Malgré son âge, il n'a pas encore découvert son choix de vie, et c'est la présence d'un enfant à ses côtés qui va lui permettre de clarifier sa direction. Sans doute l'un des plus beaux rôles de Kevin Costner, qui, parfois, s'est abîmé dans des incarnations pour le moins loufoques ("Waterworld", pour n'en citer qu'une).  
 
 Philip est lui aussi enfermé dans une solitude, totalement différente, mais bien réelle pour un enfant de huit ans. Soumis aux règles castratrices que lui impose sa mère, pour cause de croyances religieuses, il doit rester étranger aux joies simples qui font le bonheur des garçons de son âge. Pas de fêtes, pas de célébrations d'anniversaires, pas d'Halloween, pas de "montagnes russes"... Elevé au milieu d'un cercle exclusivement féminin, il trouve en Butch le grand frère initiateur, et vaguement garnement, qui lui manque pour trouver ses marques et ses limites, en même temps que le père qu'il ne reverra jamais, malgré les mensonges pieux que lui conte sa mère. Avec la délicatesse qui le caractérise, Clint Eastwood nous invite à partager cette union nourrissante, a priori contre nature. A partir d'un fait divers dramatique, l'histoire bifurque insensiblement vers une relation où la fraicheur, la tendresse, la légèreté, s'éveillent avec une évidence miraculeuse. Un mélange de gravité, de candeur, d'éclat que l'on ne retrouvera plus jamais dans les oeuvres suivantes. Ici, deux solitudes se rencontrent fortuitement, et cette symbiose contribue à l'épanouissement intérieur de chacun. Cette floraison est déjà moins évidente dans le film suivant : "Sur la route de Madison". Elle devient à peine perceptible dans les deux réalisations récentes, même si, dans "Mystic River", les personnages de Jimmy Markum et de Sean Devine parviennent à transcender la tragédie qui les frappe, pour, peut-être, expérimenter une certaine paix de l'âme.  
 
 C'est, à mon sens, dans ce film, que Clint Eastwood parvient le mieux à mêler intimement ténèbres et rayonnement, gravité et nonchalance, tendresse et cruauté, humour (Clint Eastwood et son équipe parcourant les routes du Texas dans le mobil-home délirant du Gouverneur !) et tragédie, tout en nous offrant une des plus poignantes scènes susceptibles de s'imprimer dans le souvenir d'un cinéphile : Buzz prenant la main de Butch, blessé, et le conduisant vers les policiers. 
 
 Un véritable concentré de pureté et de bonheur !
   
Bernard Sellier