Joe (Charlotte Gainsbourg) est découverte, rouée de coups, par un homme solitaire, Seligman (Stellan Skarsgard). Il la ramène chez lui, la soigne et écoute le récit de sa vie de nymphomane...
Comme cela a déjà été écrit dans le commentaire de "Melancholia", il est un point sur lequel l'accord sera unanime : Lars von Trier ne laisse jamais indifférent. Ici encore moins qu'ailleurs, étant donné les expositions érotiques auxquelles nous convie une Charlotte Gainsbourg déprimante.
Un second point ne se verra pas davantage contesté : le réalisateur porte un très gros fardeau dans sa relation avec la religion et les dogmes qu'elle véhicule. Il est d'ailleurs fort instructif de constater que, justement, Lars von Trier a été à l'origine du mouvement cinématographique "Dogme 95". De toute évidence, qui dit "dogme", quel qu'il soit, dit "enfermement", lequel conduit, inéluctablement, à la dépression, voire à la mort.
Un troisième point affiche la même évidence : l'amour, fondement de la Création (la loi de cohésion), doit être fui de manière absolue. Soit en l'ignorant totalement (Seligman n'a jamais connu de relation charnelle), soit en plongeant délibérément dans l'hyper consommation de sexe, comme un boulimique se jette sur la nourriture. Et, surtout, en violentant le plus possible son corps.
Le critique de Chronic'art, Jérôme Momcilovic, a résumé de manière abrupte, mais humoristique et réaliste, la production cinématographique du réalisateur danois : " Admettons pour l'heure que, s'il est toujours difficile de prendre au sérieux Lars Von Trier comme cinéaste, on peut commencer à le trouver intéressant comme dépressif". En l'occurrence, le terme "dépressif" se révèle bien faiblard. Plus encore que la neurasthénie ou la dépression, c'est ici un désespoir total, une colère monumentale contre soi-même et contre le ciel qu'il faut évoquer. Etat extrême qui, reconnaissons-le, ne manque pas d'intérêt et génère une franche compassion envers ces êtres qui, pour l'heure, n'ont aucune conscience de la lumière permanente qu'ils sont en essence. Leur parcours existentiel se situe à l'opposé de l'union tantrique qui conduit à l'extase. La vision qu'a Joe d'elle-même se résume à un corps physique doté de pulsions impérieuses, masochistes, et à la conception mentale qu'elle est une "mauvaise personne". Seligman, lui, ne souffre pas de la même intensité auto-destructrice, mais sa perspective des relations humaines se résume à une analogie avec la pêche à la mouche ! Même s'il convoque parfois les mathématiques, avec un attrait marqué pour la suite de Fibonacci, cela n'élève guère le débat, avec une appréhension de l'humanité, et surtout de la femme (cf. "Antichrist"), toujours aussi noire, glacée, mortifère et, en fin de compte, tragiquement primaire. Si les enjeux n'étaient pas aussi profonds, radicaux, une vision aussi rudimentaire pourrait faire sourire. Lorsque l'on visionne, surtout dans la seconde partie, cet étalage irrévocablement déprimant de manifestations haineuses envers soi-même, c'est une irrépressible angoisse qui saisit. Quelle coloration peut avoir l'être intérieur d'un cinéaste dont l'expression artistique se concentre uniquement sur de semblables tableaux, si ce n'est un noir désespérément fermé à une quelconque étincelle de lumière ? Même s'il ne s'agit que d'un voile épais temporaire, l'impression dans l'instant n'en est pas moins terrifiante... À moins, bien sûr, mais l'hypothèse semble peu solide, qu'il s'agisse uniquement d'un fonds de commerce créé artificiellement dans le but de provoquer et de choquer...