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Pauvres créatures,
     (Poor things),      2024,  
 
de : Yorgos  Lanthimos, 
 
  avec : Emma Stone, Willem Dafoe, Ramy Youssef, Mark Ruffalo,
 
Musique : Jerskin Fendrix



  
Ne pas lire avant d'avoir vu le film (encore que...)

 
Godwin Baxter (Willem Dafoe), chirurgien et anatomo-pathologiste, a sauvé une jeune femme enceinte qui s'était jetée d'un pont. Après une substitution de cerveau,  la jeune fille est devenue Bella Baxter (Emma Stone). Dans les premiers mois, la réussite laisse un peu à désirer. Godwin charge un jeune étudiant en médecine, Max McCandles (Ramy Youssef) d'étudier les progrés accomplis chaque jour par la nouvelle née...
 
  Il est sûr que lorsqu'on se plonge dans un film de Yorgos Lanthimos, on se retrouve immédiatement en pays connu. Tous les qualificatifs déjà utilisés pour The lobster et Mise à mort du cerf sacré, sont plus que jamais d'actualité ici. À savoir : grotesque, cruauté, cynisme, gratuité, artificialité. Le titre anglais caractérise d'ailleurs le contenu de façon plus fidèle, en parlant non pas de créatures, mais de choses. Pourtant, il est possible de voir dans l'évolution de Bella, une sorte d'ouverture anarchique sur le monde extérieur, sans que la morale ou une quelconque bienséance vienne mettre des freins à ses expérimentations. Les différentes plongées dans Lisbonne, Paris, Alexandrie, Londres, sont des tableaux flamboyants, intensément vivants, souvent gorgés de couleurs hypersaturées, et offrent en permanence une reconstruction intime d'une féminité naissante qui est transcendée par la performance exceptionnelle d'Emma Stone. Cela dit, le propos est quand même simpliste. La libération de la femme passe par son accession décomplexée au plaisir. Le réalisateur joue avec tous les outils possibles, images tordues, noir et blanc, observation à travers un œil de bœuf, musiques - enfin si l'on peut dire - réduites à des grincements, des coups de gongs, des grognements... Les décors eux-mêmes, depuis la demeure de Godwin jusqu'aux vues extérieures, invitent tout un tas de formes improbables, de cieux d'un rouge flamboyant, d'objets volants mal identifiés. On a l'impression que le plaisir du scénariste réalisateur est davantage d'explorer les innombrables possibilités de décors baroques ou fantaisistes (les animaux hybrides : un corps de poule surmonté d'une tête de cochon...), que de construire une véritable quête intérieure d'une conscience en phase de reconnaissance d'elle-même. Et pourtant, ce qui est le plus surprenant et remarquable, c'est que la personnalité de Bella est tellement insolite, puissante, décalée, gourmande de vie, qu'elle parvient à exister en permanence, à crever l'écran, malgré le foisonnement de détails extérieurs, décors, images, sons, qui seraient capable d'étouffer n'importe quelle héroïne moins exaltante. Ce qui est  également indéniable, c'est que l'univers de Yorgos Lanthimos est d'une originalité unique, aussi bien dans le fond que dans la forme. Peut-être une œuvre capable de me réconcilier avec ce réalisateur...
   
Bernard Sellier