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Scarface,
      1983,  
 
de : Brian  de Palma, 
 
  avec : Al Pacino, Michelle Pfeiffer, Mary Elizabeth Mastrantonio, Robert Loggia, F.Murray Abraham, Harris Yulin, Steven Bauer,
 
Musique : Giorgio Moroder

  
   
En 1980, le gouvernement Cubain envoie aux Etats-Unis un grand nombre de citoyens indésirables. Parmi ceux-ci, un pourcentage important est composé de repris de justice. Tony Montana (Al Pacino) est l'un d'entre eux. En compagnie de son ami Manny Ribera (Steven Bauer), il survit momentanément en travaillant comme plongeur dans un restaurant. Mais le jeune homme a des ambitions infiniment plus élevées que de finir ses jours en employé miteux. L'occasion lui est bientôt donnée de changer de "boulot", en éliminant un ancien responsable Castriste, Emilio Rebenga (Roberto Contreras), puis de monter dans le milieu des "affaires", en devenant membre du gang de Frank Lopez (Robert Loggia). Lorsqu'il fait connaissance de l'amie de son employeur, Elvira Hancock (Michelle Pfeiffer), il tombe sous le charme... 
 
   Directement inspiré par le "Scarface" de Howard Hawks (1932) (une ligne d'hommage apparaît juste avant le générique final), Brian de Palma transpose dans les deux dernières décennies du vingtième siècle cette histoire, qui, a priori, semble appartenir au monde de l'entre deux guerres où Capone régnait en maître, mais se révèle en fait, intemporelle. "Les Incorruptibles", "Les Affranchis", "Le Parrain", "Casino"... La nature humaine est immuable, s'accrochant à l'argent et à la gloire comme à une bouée de sauvetage contre l'océan de la médiocrité. Rien ne change vraiment, si ce n'est la marque des voitures et le progrès technique. Le "rêve américain" fait toujours recette, même lorsqu'il est transposé en "rêve européen", et ce n'est pas la mondialisation, créatrice d'un fossé toujours plus béant entre riches et pauvres, qui fermera prochainement la porte de ces illusions.  
 
   Mais nul besoin d'être un grand connaisseur en cinéma pour se rendre compte que nous sommes loin de l'univers de Coppola ou de Scorcese. Pas de reconstitution clinquante, pas de réceptions fastueuses, pas trace de cet apparat bourgeois, voire presque aristocratique, qui recouvre le monde de Vito Corleone d'un vernis policé. De Palma nous plonge, dans le fond aussi bien que dans la forme, au sein de l'univers des rues, brut, grossier, d'où est issu Montana. Tony est un être macho, brutal, camé jusqu'à la moelle, vulgaire, et les millions amassés, loin de développer les rares facettes positives de son caractère, ne feront qu'exacerber tous ses défauts. Cette noirceur intégrale du personnage n'est contrebalancée que par une frêle lumière extérieure, en la personne de Gina (Mary Elizabeth Mastrantonio), sa jeune soeur. La personnalité globale de l'homme est résumée en une phrase, criée par la mère de Tony à son fils : "Pourquoi détruis-tu tout ce que tu touches ?". Obsédé par un semblant de droiture, commun à tous les membres des mafias, plongeant peu à peu dans un délire paranoïaque amplifié par la cocaïne et l'alcool, gangrené par un délire de puissance ingérable par sa personnalité instable, véritable pile électrique hallucinée, le héros, si on peut appeler ainsi ce malade, est porté à bout de bras par Al Pacino, dont l'incarnation culmine dans un état quasi comateux, prélude à une folie furieuse démente. Si l'on ne peut qu'être admiratif, béat, devant cette intégration exceptionnelle du personnage par un acteur toujours profondément inspiré, il est plus difficile de supporter l'atmosphère poisseuse, plombée, barbare, qui colle au récit comme une glu répugnante. Le record du monde des "fuck" doit être tenu haut la main par le film, et, si le réalisme dans la descente aux enfers de Montana est indispensable, le spectateur, même envoûté par le spectacle, ne peut qu'être soûlé, au bout de deux heures, par cette accumulation pathologique. La musique elle-même, lancinante, se montre en parfaite harmonie avec l'univers obsessionnel de Scarface. 
 
   Une oeuvre exceptionnelle, emplie jusqu'à ras bord de bruit et de fureur, qui, par sa puissance et sa radicalité, ne peut laisser quiconque indifférent.
   
Bernard Sellier