Bienvenue sur le site d'un manipulateur de mots, passionné d'écriture, de cinéma, de musique, d'ésotérisme...     

Les sentiments,
      2003, 
 
de : Noémie  Lvovsky, 
 
  avec : Isabelle Carré, Jean-Pierre Bacri, Nathalie Baye, Melvil Poupaud, Agathe Bonitzer, Valeria Bruni-Tedeschi,
 
Musique : Philippe Rouèche, Jeff Cohen


   
Jacques (Jean-Pierre Bacri) est médecin, marié depuis de longues années à Carole (Nathalie Baye) avec laquelle il a deux enfants. A quelques mètres de leur demeure, emménage un jeune couple, François (Melvil Poupaud) qui vient d'épouser Edith (Isabelle Carré). Le jeune homme doit prendre la succession de Jacques. Les premières relations sont amicales, voire chaleureuses. Mais l'équilibre est vite rompu lorsque Edith cède aux avances maladroites de Jacques... 
 
   La structure d'un film présente quelques analogies avec celles d'une maison. Il y a d'abord les fondations. Dans le cas présent, solides comme le roc. Deux hommes, deux femmes, et, bien sûr, la pente fatale qui précipite vers l'irréparable. Le sujet a déjà été traité dix millions de fois dans la littérature et le cinéma, et n'est pas près de voir la fin de sa concession. Dans ce domaine, il est bien difficile d'innover. Ensuite l'aspect du bâtiment. C'est là que peuvent s'exprimer les hardiesses des constructeurs. Entre une maison d'architecte inspiré et une réalisation Phénix, peu de points communs. Mais, contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, il n'est pas fort aisé de se démarquer intelligemment des milliers d'oeuvres qui ont précédé. Une réussite incontestable comme "Le fabuleux destin d'Amlélie Poulain" (qu'on l'apprécie ou pas), est rarissime dans le paysage cinématographique.  
 
   Le scénario de ce film est pour le moins rachitique. Ce qui, à la rigueur, n'est pas un handicap pour donner naissance à l'émotion et à la subtilité. Un exemple parmi beaucoup : "Mademoiselle" de Philippe Lioret. Plus gênantes dans le cas présent, sont l'artificialité des situations mêlée à l'extravagance gratuite des impulsions. Edith vient d'épouser un jeune homme beau, intelligent, brillant, dont elle est apparemment fort amoureuse. Et, brusquement, la voilà qui se pâme, sans que l'on sache pourquoi (à part le fait que, comme le chante si bien Verdi : 'La Donne e mobile..."), dans les bras du vieux Bacri, toujours aussi bourru et austère. Pourquoi pas, objectera-t-on ! Edith est de toute évidence une sensuelle, une spontanée, une impulsive idéaliste. Mais, tout de même, un minimum de crédibilité est indispensable à la participation émotionnelle du spectateur. L'absence d'analyse psychologique est acceptable. La gratuité opportuniste, beaucoup moins. Le développement de cette idylle improbable n'est pas beaucoup plus enthousiasmant que son enfantement. Dîners en tête à tête, parties de campagne conventionnelles. Rien de bien excitant à se mettre sous les papilles. La réalisatrice ayant dû prendre conscience de ce manque crucial de matière, a choisi d'introduire un choeur (à la manière des auteurs grecs anciens), destiné à commenter les situations et l'inexprimé des acteurs. L'option est assurément originale. Convaincante, c'est une autre question. Suivant les goûts esthétiques et artistiques de chacun, il sera possible de trouver ces incursions hautes en couleurs : agaçantes, ludiques, inspirées, ridicules... Ce qui, à la rigueur, aurait pu s'adapter sans trop de heurts à une histoire développée dans le milieu des créateurs ou des musiciens, semble ici pour le moins incongru, dans le monde rationnel du médecin de campagne lambda. Seconde originalité adoptée par la réalisatrice : une débauche de rouges qui envahissent chaque plan. Symbole de la passion, de la flamme, probablement. Une marque de fabrique, sans doute (comme d'ailleurs la clope au bec qu'arborent sans discontinuer les personnages !). Mais quelle insistance ! A force de nous servir du pourpre à toutes les sauces, les rétines s'épuisent rapidement. Voitures, bougies, rideaux, volets, fleurs, robes, colliers, tapis, lampadaires, déménageurs... Rien n'échappe à l'invasion ! Un scoop même : le sang de Nathalie Baye lui aussi, l'est... rouge !  
 
   Plus encore que les partis-pris discutables et la relative pauvreté de l'anecdote, c'est surtout l'hégémonie du factice qui nuit gravement à l'intrigue et sape la tendresse bienveillante que l'on pourrait ressentir pour les protagonistes. Comme souvent, dans les oeuvres françaises, c'est la distribution qui permet de prendre un plaisir certain à la vision. Il n'est pas si fréquent de voir Jean-Pierre Bacri pousser la chansonnette et, comble de l'inattendu, sourire ! Quant à Isabelle Carré, elle illumine chaque scène de son regard ingénu, espiègle, et de sa voix délicieusement puérile.
   
Bernard Sellier