Alexia (Adèle Guigue) est victime enfant d'un accident de voiture. Les chirurgiens placent sur son crâne une plaque de titane et ne constatent pas d'anomalie motrice ou cognitive. Une dizaine d'années plus tard, elle effectue des shows dans les salons automobiles et semble fascinée par les bolides... Un premier film «Grave» dont l'excès et le radicalisme ne pouvaient laisser indifférent. Et voici que le second reçoit la Palme d'Or à Cannes, d'une manière, disons-le, assez étrange. Il y a là de quoi marquer durablement les esprits car, si certaines œuvres 'contestées' («Pulp fiction» en 1994 ou encore «Crash» en 1996, par exemple), ont déjà récolté la précieuse Palme, ce n'est pas tous les jours que l'on voit à l'écriture et à la réalisation de films aussi extrémistes une jeune femme de trente-huit ans !
Lorsque Justine intègre l'école vétérinaire, elle semble être une jeune fille dotée de composants humains, corps physique, corps émotionnel et corps mental, en état de fonctionnement. Dans le cas présent, lorsque Alexia, 7 ans, apparaît dans la voiture de son père (Bertrand Bonello), il est déjà manifeste que l'un des éléments, au minimum, ne tourne pas très rond. L'insertion d'une petite plaque de titane au-dessus de son oreille droite ne va pas contribuer à harmoniser son être, car nous la retrouvons, devenue adulte (Agathe Rousselle), dans un état psychique pour le moins perturbé.
Ceux qui aiment les ruptures d'atmosphère et de ton seront servis. En quelques minutes, Alexia passe de l'exécution d'une danse lascive sur les bolides d'un salon de l'auto, à celle (l'exécution), assez horrible, d'un admirateur un peu trop entreprenant et enfin à un orgasme seule dans un véhicule qui fait des bonds d'un mètre. Raconté de cette manière, avouons que ça donne envie de sourire (l'excitation de la voiture, bien sûr, car le meurtre du fan est nettement moins risible !). Et ce n'est qu'une tout petite mise en bouche. Parce qu'ensuite, les délires ne font que s'accentuer. Après deux ou trois autres éliminations, Alexia se retrouve dans la peau supposée d'Adrien, le fils du capitaine de pompiers Vincent (Vincent Lindon), disparu il y a dix ans sans laisser de traces. Ces retrouvailles improbables semblent arranger tout le monde, Vincent le premier, et même son ex-femme (Myriem Akheddiou), qui semble se satisfaire de cette usurpation d'identité. Mais surtout, Alexia, un temps calmée par ce pseudo père attentionné, voit sa grossesse se développer rapidement. Comme vous ne l'avez peut-être pas deviné si, malgré l'avertissement du début, vous lisez ces lignes sans avoir vu le film (c'est pas bien !!!), le père n'est autre que... la voiture. Dès lors il devient tout à fait naturel que de l'huile de moteur s'écoule à la place du lait et autres bizarreries du genre. On commence à comprendre ce qui a pu pousser le Jury de Cannes à offrir la Palme à cet OVMI (Objet Visuel Mal Identifié).
Un certain nombre de critiques se sont extasiés devant l'audace de la réalisatrice, qui explore, ausculte, triture les corps dans ce qu'ils peuvent receler de mutations ou de monstruosités. Là n'est pas cependant la difficulté majeure. L'imagination, surtout lorsqu'elle est débridée et un tantinet pathologique, il faut bien le dire, est capable de donner facilement naissance à des visions à la Jérôme Bosch. Alejandro Jodorovsky était passé maître dans ces délires visuels, mais ils avaient toujours pour fondements des résonances psychanalytiques précises, ce qui ne signifie pas qu'ils étaient aisés à décrypter. La pierre d'achoppement, lorsqu'on conçoit une histoire de ce style, est d'échapper au piège béant de la gratuité, et de permettre au spectateur d'entrer d'une manière ou d'une autre en résonance avec les divagations extrêmes des personnages. Étant donné l'intensité des écartèlements dans les trames narratives, - depuis le réalisme le plus 'ordinaire' avec le sauvetage de la vieille dame et de son fils, jusqu'à l'accouchement du plus improbable fruit des entrailles jamais conçu -, on se dit qu'il y a forcément une tonne de symboles à décrypter pour tenter de mettre un peu d'ordre dans ce chaos mi-humain mi-machine. Mais, avouons-le franchement, on s'en fout. Ce qu'on peut retenir sans peine, c'est la performance exeptionnelle d'Agathe Rousselle qui, elle, aurait largement mérité le récomprense de la meilleure actrice, et le fait qu'on parvienne à conserver son sérieux lors de l'accouchement final, avec un Vincent qui met les mains dans le... cambouis. Pour le reste, laissons Julia Ducournau à ses fantasmes et consolons-nous en se disant que le mixage futur que nous promet l'I.A. entre l'être humain et la robotique sera sans doute moins cauchemardesque que ce qui nous est présenté ici. Une bien maigre consolation...
Aimer au sens spirituel du terme, c'est accepter l'autre dans sa réalité quelle qu'elle soit. C'est magnifique, mais que reste-t-il de cette beauté pure lorsque la démonstration pèse des tonnes ?... Bernard Sellier