Une vie cachée, film de Terrence Malick, commentaire

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Une vie cachée,
     (A hidden life),      2019, 
 
de : Terrence  Malick, 
 
  avec : August Diehl, Valerie Pachner, Maria Simon, Tobias Moretti, Ulrich Matthes, Matthias Schoenaerts, Bruno Ganz,  

Musique : James Newton Howard, Henryk Górecki, Wojciech Kilar

  
   Ne pas lire avant d'avoir vu le film... 

   
1939. Dans un petit village alpestre d'Autriche, Franz  Jägerstätter (August Diehl) vit paisiblement avec sa femme Fani (Valerie Pachner). Lorsque le Reich en difficulté enrôle les jeunes recrues, Franz connaît un dilemme. Il se refuse à devenir un tueur au service du Mal...
 
   Avec le rare Terrence Malick, il est difficile de savoir ce que l'on va découvrir. Il nous a offert du merveilleux, avec "La ligne rouge", de l'émouvant avec "Les moissons du ciel", mais aussi du déconcertant avec "L'arbre de vie", voire une franche déeption avec "Le nouveau monde".

    Dès que les premiers plans apparaissent, après une courte rétrospective de la montée du nazisme en images d'archives, l'inquiétude se fait jour. Une présentation nostalgico-mélancolique de la situation en voix off et accompagnée d'une musique langoureuse, des jeux champêtres entre adultes qui lorgnent vers "La petite maison dans la prairie", un couple qui n'apparaît pas franchement charismatique... Il y a vraiment de quoi s'inquiéter. Progressivement, le sujet fondamental du film émerge. Un dilemme cornélien sur le libre-arbitre et la responsabilité de celui qui doit choisir une voie en accord avec sa conscience.
 
C'est là qu'émerge une nouvelle interrogation. Entre la première image et la dernière, un seul ilot dramatique : Franz, objecteur de conscience jusqu'au boutiste, quitte sa famille pour être emprisonné et jugé. Nulle autre matière ne vient se greffer à lui. Et deux heures cinquante pour habiller une dramaturgie aussi linéaire et limitée, n'est-ce pas long, très long, voire interminable ? 

    Pour meubler cette durée, qui plus est souvent vide de dialogues, habitée seulement de voix off et d'expressions visuelles, le réalisateur fait appel à ses impulsions panthéistes et mystiques. Mais il se voit tiraillé entre deux mondes difficilement miscibles. D'une part une trame intimiste au plus haut point, concentrée sur le couple Franz-Fani, qui nécessite une simplicité absolue, une pudeur de tous les instants. Mais aussi d'autre part un désir d'envolées  spirituelles grandiloquentes, qui se voient déployées sans mesure et soutenues par des musiques emphatiques déplacées (encore que souvent très belles, par exemple l'extrait de la symphonie n°3 de Gorecki).

    Ce ne sont pas là les seuls écueils de cette fresque distendue. Le personnage de Franz laisse en effet perplexe. Il a en lui la conviction profonde qu'il ne doit en aucun cas faire ce qu'il considère comme mal. C'est tout à fait noble et compréhensible. Le problème est qu'il apparaît durant l'intégralité de l'oeuvre comme un être mutique, incapable ou refusant de s'expliquer. Or il est bien difficile au spectateur de ressentir une quelconque empathie envers lui, en ne se fondant que sur ses expressions et ses silences. La réalisation elle-même, très personnelle, ne manque pas d'interpeller également. Le choix d'images souvent déformées façon GoPro, de fréquentes contre-plongées sur les visages, les exacerbations des attitudes, des expressions (le visage constamment torturé de la mère de Franz), des réactions, tout cela concourt à provoquer un agacement chez celui qui ne saisit pas la justification de cet esthétisme voyant. Et le fait que cette irritation se cumule avec une lenteur et une répétitivité désespérantes, provoque in fine une envie de rejeter l'ensemble. D'autant plus qu'aucune évolution réelle dans la trame dramatique ne vient secouer la sclérose de l'histoire. Entre le début de la prise de conscience de Franz et sa condamnation, le spectateur ne se voit proposer que deux données statiques : Franz soumis aux barbares nazis et Fani soumises à la vindicte des habitants de son village. Si l'on regarde l'aspect positif de cette réalité, on se dira que Terrence Malik a réussi l'exploit de parvenir à meubler plus de deux heures avec une raréfaction d'éléments extrême. Si l'on se penche du côté négatif, on se montrera agacé par cette accumulation de poses romantiques et hiératiques, de symboles lourds (les orages incessants), qui tentent de meubler un vide narratif béant. Ce qui est certain, c'est que, une fois encore, Terrence Malick se montre déroutant...

   
Bernard Sellier