Dans la ligne de mire, film de Wolfgang Petersen, commentaire

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Dans la ligne de mire,
    (In the line of fire),     1993,  
 
de : Wolfgang  Petersen, 
 
  avec : Clint Eastwood, John Malkovich, Rene Russo, Dylan McDermott, Gary Cole, Fred Dalton Thompson,
 
Musique : Ennio Morricone

   
 
Frank Horrigan (Clint Eastwood), ancien garde du corps de JFK, est aujourd'hui un agent vieilli, fatigué, qui a été quitté par sa femme et a dû surmonter difficilement des problèmes d'alcoolisme. Secondé par son jeune collègue Al D'Andrea (Dylan McDermott), il vient de mettre sous les verrous un fabricant de fausse monnaie, lorsqu'il est contacté par un inconnu, Mitch Leary (John Malkovich), qui semble bien connaître sa carrière. L'homme lui annonce qu'il a l'intention de tuer le Président. Frank souhaite que des modifications soient effectuées dans l'emploi du temps présidentiel, mais sa demande est rejetée. La campagne pour la réélection commence et il ne saurait être question de descendre encor eplus dans les sondages en annulant certains rendez-vous importants avec les électeurs... 
 
 Lorsqu'il visionne ce film en 2005, le spectateur peut avoir l'impression de regarder une préquelle rachitique de la première saison de "24 heures chrono". Une campagne présidentielle, un tueur mystérieux qui menace l'hôte de la Maison-Blanche, un jeu de piste, un homme qui se croit prêt à donner sa vie pour sauver l'élu de la nation... Heureusement, cette oeuvre ne se cantonne pas à une simple enquête, à un suspense policier primaire, ce qui l'aurait fait paraître bien pâle à côté de la série sus nommée. Certes la traque du psychopathe réserve son petit lot de surprises, sa petite dose d'adrénaline. Mais l'intérêt majeur se trouve ailleurs : dans les rapports ambigus, énigmatiques, qui se tissent entre Horrigan et Mitch. Le premier est un personnage usé, dans lequel Clint Eastwood semble se complaire. On le retrouvera, avec des états de services moins brillants, dans "Jugé coupable" ou "Créance de sang". Ici, l'homme fatigué, désabusé, entretient dans sa conscience une interrogation majeure, qui constitue d'ailleurs la réflexion persistante de l'histoire : jusqu'où suis-je capable d'aller pour effectuer la mission qui m'est confiée ? Serais-je capable de donner ma vie pour un homme qui n'est pas un ami, que, peut-être même, je n'apprécie pas ? Cette incertitude ronge l'être plus sûrement que ne pourrait le faire l'alcool. Mitch, lui, paraît avoir résolu le problème. Devenu un monstre à éliminer, après avoir été un assassin au service du gouvernement, il est assuré de sa capacité à mourir pour le but qu'il s'est fixé. Mais loin d'en faire une machine à tuer invisible, une ombre murée dans le secret, le scénariste a eu l'intelligence et le génie d'en faire une créature ambivalente, quêtant la reconnaissance d'un frère situé de l'autre côté de la loi, s'exposant volontairement au danger, pour goûter l'excitation du jeu. Une sorte de double révélateur pour donner naissance à la véritable personnalité de Frank. A ce titre, la scène cruciale du policier suspendu dans le vide expose, dans sa cruelle simplicité, l'incontestable vérité intérieure de l'homme, bien plus sûrement que ne pourraient le faire trente ans de psychanalyse. Quant au dénouement, il a le bon goût et la sagesse de renoncer à tout spectaculaire, se contentant de présenter le négatif de la séquence médiane. Et l'une des grandes réussites du film est de parvenir à extraire, de cet affrontement psychologique a priori aberrant, une suite de séquences passionnantes, magnétiques, à la crédibilité constante. Le mérite en revient pour une grande part, en sus du scénario, à l'incarnation de Clint Eastwood, et, surtout, à celle, toute en nuances, de John Malkovich. Fusionnant la glace et le feu, la bonhomie mielleuse et la furie du fauve, souverainement doublé, il compose un personnage aussi riche que déconcertant et fascinant. 
 
 Rien de transcendant ou de révolutionnaire. Un film solidement charpenté, empreint d'intelligence, dont le rythme lent soutient magistralement le duel sans merci de deux êtres solitaires.
   
Bernard Sellier