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Farinelli,
      (Farinelli, il castrato),       1994,  
 
de : Gérard  Corbiau, 
 
  avec : Stefano Dionisi, Enrico Lo Verso, Elsa Zylberstein, Caroline Cellier, Marianne Bassler, Jeroen Krabbé,
 
Musique : Riccardo Broschi, Haendel, Pergolese, Porpora

 
   
Traumatisé par le suicide d'un jeune castrat, le petit Carlo Broschi, doué d'une voix inégalable, refuse de se faire entendre du Maître Propora (Omero Antonutti). Devenu adulte, Carlo, surnommé Faninelli, (Stefano Dionisi) devient pourtant, en compagnie de son frère Riccardo (Enrico Lo Verso), compositeur, la coqueluche des foules devant lesquelles il se produit. Ils partagent également les femmes. Un soir, le chanteur parvient même à tirer la comtesse Mauer (Marianne Bassler) de sa lecture, et à lui procurer son "premier orgasme musical" ! Haendel (Jeroen Krabbe) se voit éconduit lorsqu'il propose à Farinelli de chanter pour lui... Quelques années plus tard, en 1734, les deux frères arrivent à Londres, où ils font la connaissance de Margaret Hunter (Caroline Cellier), qui vit seule avec son fils Benedict (Renaud du Peloux de Saint Romain), handicapé, et de la belle Alexandra (Elsa Zylberstein), amoureuse de Carlo... 
 
   En 1988, Gérard Corbiau avait donné naissance à une oeuvre au scénario minimaliste, dont la mise en scène affichait un manque certain de moyens, mais dont j'ai toujours apprécié le charme original : "Le Maître de musique". Le grand baryton Jose Van Dam y incarnait un personnage autoritaire, ambigu, mais terriblement séduisant malgré sa dureté de façade. Avec "Farinelli", Gérard Corbiau, doté d'importants moyens, aborde les grandes réalisations. Deux Césars et une nomination aux Oscars ont, à juste titre, récompensé sa réussite esthétique, tant visuelle que musicale. La reconstitution d'époque est enthousiasmante, les costumes sont riches, les décors somptueux, mais cette luxuriance n'étouffe heureusement pas l'histoire tragique de ces deux frères, pathologiquement unis dans la réussite comme dans la dualité amour-haine.  
 
   Outre le tour de force technique qui, grâce au mixage sur ordinateur d'une voix de Haute-Contre (Derek Lee Ragin) et d'une Soprano Colorature (Ewa Godlewska), a permis de donner existence à une voix de castrat qui n'a plus cours, et ce, avec une vraisemblance bluffante, il est indispensable de saluer le choix idéal de Stefano Dionisi pour incarner Carlo. Tour à tour violent, passif, consumé par sa mutilation, devenu le jouet de Riccardo, dont la valeur personnelle est suspendue à la réussite de son frère, il apporte une présence magnétique à son personnage, jusque dans les moments d'absence dépressive. Evoquant, par instants, le manège pervers des jumeaux de "Faux-semblants", la relation des deux artistes se développe avec subtilité sur fond d'une rivalité musicale qui, elle, fait obligatoirement penser au génial "Amadeus". Il est bien sûr impossible de comparer les deux oeuvres, dont l'approche est différente. Si l'on sentait passer, dans le film de Milos Forman, le souffle de l'inspiration et de la création qui enflammait Mozart, ce n'est pas vraiment le cas ici. Haendel, (interprété par Jeroen Krabbe, décidément habitué à cette époque aux rôles de musiciens, puisqu'il interprétait, la même année, Schindler dans un "Ludwig van B." pour le moins désappointant), se trouve, lui aussi, méprisé, piétiné, par les aristocrates imbéciles qui, pour des raisons n'ayant aucun rapport avec la musique, ont décidé de porter aux nues le très oublié Porpora. Mais l'intérêt se porte bien davantage sur le drame intime des deux frères Broschi, qui, tels des Siamois, chemineront comme un être unique jusqu'à ce qu'une prise de conscience, à la fois artistique et psychologique, brise à jamais leur union morbide.  
 
   Classique dans sa mise en scène, le film brille cependant par sa forme rutilante et par sa trame dramatique qui, loin d'être un prétexte, se révèle tout à la fois féconde, fascinante et, quelquefois surprenante, à l'image de ce petit adolescent paralysé, regorgeant d'amour pour celui qu'il voudrait voir remplacer son père...
   
Bernard Sellier