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N'oublie jamais,
     (The notebook),      2004, 
 
de : Nick  Cassavetes, 
 
  avec : Tim Ivey, Gena Rowlands, James Garner, Ryan Gosling, Rachel McAdams, Joan Allen,
 
Musique : Aaron Zigman

   
   
Une vieille femme (Gena Rowlands) est hospitalisée pour démence sénile. Duke (James Garner), un homme de son âge, lui lit une histoire d'amour afin qu'elle ne perde pas totalement le contact avec la réalité. L'histoire de deux jeunes gens qui se rencontrent pendant les vacances de 1940, deviennent fous amoureux l'un de l'autre, mais sont séparés par l'abîme séparant leurs situations sociales très différentes : Allie Hamilton (Rachel McAdams), fille d'un couple richissime du Sud, John (David Thornton) et Anne (Joan Allen), est sur le point d'entrer dans une prestigieuse Université New-Yorkaise. Noah Calhoun (Ryan Gosling) travaille dans une scierie, et son avenir ne peut être que minable. Désespéré, le jeune homme s'engage dans l'armée, participe aux combats en Europe, puis revient au pays. Son père, Frank (Sam Shepard) vend sa maison, afin que Noah puisse réaliser son rêve : retaper entièrement une bâtisse en ruines, chère à son coeur. Pendant ce temps, Allie a rencontré un homme beau et riche, Lon Hammond (James Marsden) et accepte de l'épouser... 
 
   S'il était possible de faire pleurer les pierres, nul doute que l'insupportable souffrance de l'oubli serait à même de réaliser ce miracle. L'abandon physique, la mort sont terribles. Pourtant, il est possible de les surmonter, d'opérer son deuil, parce que la cassure est nette, que le vide créé peut être à nouveau rempli, si on le désire, par des éléments vitaux naissants. Cela est impossible lorsque l'absence n'est que virtuelle, lorsque le corps est là, occupant tout l'espace de l'amour, et que seule la mémoire fait défaut.  
 
   Que le sujet soit traité de manière "active" ("Prisonniers du passé", par exemple), dramatique ("Se souvenir des belles choses"), fantasmagorique ("Eternal sunshine of the spotless mind"), ou sensible et romantique comme c'est le cas ici, le drame est toujours étouffant, insoutenable. Certes, une question se pose, ou, tout au moins, nombre de critiques l'ont posée à travers leurs jugements sans appel : avons-nous devant les yeux une "histoire romantique à la guimauve", un déversement de flacons d'eau de rose, un mélo sentimental bourré de poncifs agaçants ou une "histoire d'amour fou qui défie le temps" ? Et pourquoi pas tout cela à la fois ? Les scènes cruciales, qui mettent en présence Duke et Allie, sont sobrement conduites, générant une émotion pure et spontanée. Le récit qu'il lui fait, et qui occupe 90% du film, est assurément idéalisé pour une grande part : couchers de soleil romantiques, scènes langoureuses sur un lac peuplé de volatiles blancs... En quoi cela est-il choquant, détestable, à moins que l'on éprouve de la honte à plonger dans le rêve ? Essayons d'entrer, ne serait-ce que quelques brèves secondes, dans la personnalité de Duke, de ressentir viscéralement le désespoir qu'il peut ressentir devant la femme qu'il adore et pour laquelle il n'est plus qu'un étranger. Les souvenirs qu'il transmet comme bouée de sauvetage, comme passerelle de communication avec ce cerveau déconnecté, ne seraient-il pas spontanément peuplés de beauté, de joies même idéalisées, de réminiscences embellies par le désir impérieux de surmonter la souffrance, d'imaginaire chatoyant ? Oui, cette histoire est, par essence, dramatique. Même mélodramatique, si l'on veut. Oui, elle pourrait être traitée d'une manière totalement différente. Mais le spectateur, satisfait visuellement et intellectuellement, en sortirait-il grandi ? 
 
   La beauté pure, la bonté, la candeur ont mauvaise presse. C'est "cul-cul". Ce n'est pas "réaliste". Le monde n'est pas "comme cela". C'est malheureusement vrai, mais ce qui ne l'est pas moins, c'est que le monde est ce que nous en faisons. Car il est bon de ne pas oublier qu'il est composé de la somme des milliards d'individualités... Chacun a le choix : construire son être profond avec les pierres de la peur, des nouvelles catastrophiques que les télés nous servent à longueur d'années, des jeux video "éducatifs" consciencieusement fournis par les multinationales, qui enfoncent les enfants dans l'idée que tuer, détruire, est aussi naturel que s'enfiler des litres de Coca Cola ; ou bien utiliser les pierres de l'amour, de l'altruisme, de la compassion et de l'imaginaire poétique. La première solution est, de loin, la plus aisée. Alors, une oeuvre comme celle-ci, même critiquable dans certaines de ses options, possède au moins un mérite inestimable : tenter d'imprégner notre coeur de l'un des messages que Noah écrit à Allie : "Le plus bel amour est celui qui éveille l'âme et nous fait nous surpasser"...
   
Bernard Sellier