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La porte du Paradis,
      (Heaven's gate),     1980, 
 
de : Michael  Cimino, 
 
  avec : Kris Kristofferson, John Hurt, Christopher Walken, Sam Waterston, Isabelle Huppert, Jeff Bridges, Joseph Cotten, Tom Noonan, Mickey Rourke,  
 
Musique : David Mansfield

   
   
1870. James Averill (Kris Kristofferson), Billy Irvine (John Hurt) et tous leurs camarades fêtent la fin de l'année universitaire. Beaucoup pensent qu'un avenir glorieux les attend. Mais tout n'est pas rose dans les Etats-Unis de la fin du dix-neuvième siècle. Deux décennies plus tard, dans le Wyoming, un groupe d'éleveurs, lassés de voir les immigrants envahir leur contrée, forment une association de défense. James, devenu shériff, apprend de Billy que les membres, sous la houlette de Frank Canton (Sam Waterston), ont voté un projet insensé : éliminer plus d'une centaine de personnages influents considérés comme voleurs de bétail, anarchistes ou hors la loi... 
 
   Film maudit, (générateur de la ruine de l'United Artists), d'un réalisateur qui ne l'est pas moins. Car, hormis "Voyage au bout de l'enfer", dont le statut de chef-d'oeuvre n'a jamais été remis en cause, et, à la rigueur, "L'année du dragon", les rares autres réalisations de Michael Cimino ont été souvent plus que contestées. Il faut dire que la fresque qui nous est présentée ici en version courte (tout de même 2h30 !) justifie bien difficilement les délires créatifs mégalomaniaques dont a fait preuve, paraît-il son auteur, au cours du tournage. La version longue (3h30) change-t-elle la donne, c'est possible. Toujours est-il que, dans le cas présent, bien que développée sur un canevas proche de celui de "Voyage au bout de l'enfer", l'épopée peine grandement à captiver. Pour de multiples raisons.  
 
   Tout d'abord, un déséquilibre général qui fait que, durant un interminable prologue de 80 minutes, dans lequel il ne se passe pas grand chose, ni dramatiquement, ni psychologiquement, l'ennui s'installe sans rémission. La reconstitution somptueuse, le goût du réalisateur pour les rites festifs étirés (le bal de l'université, l'anniversaire d'Ella Watson (Isabelle Huppert), apportent assurément une agitation haute en couleurs. Malheureusement, la gratuité de ces séquences et le monde autarcique, impénétrable, au sein duquel évoluent des personnages abstraits, lointains, médiocrement intéressants, pour cause de caractérisation fantomatique, rebutent inexorablement.  
 
   Ensuite, la pâleur chronique qui, durant un long moment, imprègne le fondement dramatique. L'histoire semble fréquemment passer aux oubliettes, puisqu'il faut attendre une heure et demie pour que le drame s'épaississe enfin. Quelques individualités émergent alors du magma originel. La trame se resserre aussi autour des deux pôles majeurs : l'amour d'Ella, déchirée entre deux hommes, et le combat inégal, désespéré, des immigrants contre l'appétit vorace de quelques richissimes colons criminels. Soutenus, comble de la honte, par les autorités gouvernementales ! Le film en devient-il plus captivant pour autant ? Pas vraiment ! Malgré la relative émergence d'une ardeur interne jusqu'alors absente, il faut une sacrée dose de bonne volonté pour entrer en résonance avec le destin tragique des personnages, qu'ils soient secondaires ou centraux. Tous, à l'exception peut-être d'Ella (dont la chaleur expressive n'est pourtant pas la qualité première), ont un mal fou à prendre vie sous nos yeux, à provoquer une sympathie spontanée (Christopher Walken, inoubliable dans "Voyage au bout de l'enfer", paraît dans le cas présent bien falot). D'autant plus que, si le clinquant superficiel de la première partie s'est effacé, c'est le brouhaha confus des combats qui envahit la seconde. Quant aux espaces paisibles, intimistes, on ne peut pas dire qu'ils brillent par leur magnétisme. La démesure esthétique peut être un élément positif, bénéfique, à condition qu'elle serve le récit ("Gangs of New-York"), l'enchâsse dans un écrin soigné pour mieux le mettre en valeur. Ici, elle semble, au contraire, l'étouffer inexorablement. Et ce n'est pas le final, plaqué de manière complètement abrupte sur une trame déjà cireuse, qui relève l'enthousiasme. De magnifiques paysages, un sujet historiquement intéressant, une belle distribution, mais, en définitive, une version "courte" désincarnée qui imprègne bien peu la mémoire. C'est triste ! Un petit 4 étoiles (pour la splendeur picturale de l'œuvre...).
   
Bernard Sellier