Tokyo vice, Saison 1, série de Josef Kubota Wladyka, commentaire

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Tokyo vice,
        Saison 1,      2022,  
 
de : Josef Kubota  Wladyka, 
 
  avec : Ansel Elgort, Ken Watanabe, Rachel Keller, Shô Kasamatsu, Ella Rumpf, Rinko Kikuchi,
 
Musique :   Danny Bensi, Saunder Jurriaans, 

   
 
Ne pas lire avant d'avoir vu la série

 Jake Adelstein (Ansel Elgort), installé depuis trois ans à Tokyo, passe un concours pour intégrer le plus grand journal du pays, le Meicho Shimbun. Il est accepté mais se voit relégué à des tâches sans intérêt, d'autant plus que ses articles sont souvent censurée par sa supérieure, Emi (Rinko Kikuchi). Il tente de se lier avec un policier, Jin Myamoto (Hideaki Itô), mais n'en tire rien de concret. Il fait la connaissance de Samantha (Rachel Keller), une entraîneuse qui travaille dans le bar tenu par Duke (Masato Hagiwara)...
 
 Dès les premières minutes, le spectateur est plongé corps et biens dans un monde qui semble appartenir, non pas seulement à une autre planète, mais à une autre galaxie, très, très lointaine. Sans exagérer, on peut affirmer que jamais installation dans une atmosphère aussi éloignée de ce que nous connaissons n'a été réussie avec une semblable maestria. Il fait préciser que le premier épisode a été réalisé par le grand Michael Mann (« Heat »). Mais la qualité de cette immersion n'est pas uniquement due aux décors, au montage superlatif, ou au monde grouillant de la capitale nippone. Elle naît également du fait que l'on est immédiatement perdu au milieu de ce microcosme, et que rien n'est fait pour aider le spectateur à obtenir quelques points de repères. Les personnages qui défilent ne sont souvent pas nommés, et il faudra parvenir au troisième épisode pour que commencent à se mettre en place quelques jalons permettant de placer les principaux protagonistes sur les cases de l'échiquier qui leur correspondent. À l'exception de deux morts violentes, dont un meurtre « qui ne doit en aucun cas être qualifié ainsi tant que la police n'a pas dit qu'il en était un », le démarrage de l'histoire s'opère de manière très peu sanglante. Mais qu'on ne s'y trompe pas. Si la légendaire sauvagerie des Yakuzas tarde à se dévoiler, il n'en est pas moins évident que tout ce début se place sous le signe d'une violence intérieure effroyable, née en grande partie de la rigidité extrême des codes sociétaux qui régissent le comportement de chaque personne. Il est strictement interdit à Jake toute familiarité envers Emi, sa supérieure. Comme elle le souligne d'emblée à son nouveau subordonné, « un journaliste écrit ce qu'on lui dit d'écrire ! ». Nous semblons découvrir aujourd'hui, après trois ans d'informations uniformes transmises par les medias mainstream, que le métier de journaliste n'existe plus. C'était une réalité depuis des décennies au pays du soleil levant, et il n'y a aucune raison de douter de cette réalité atterrante. Tout concourt à rendre cette immersion japonaise d'une authenticité troublante. Le choix d'Ansel Elgort, jusqu'alors orienté vers les fantaisies dystopiques (« Divergente »), ou les romances émotionnelles (« Nos étoiles contraires »), surprend au début, ne serait-ce que pour la juvénilité de son physique, mais il devient très vite incontestable qu'il est tout à fait à sa place dans l'incarnation de ce journaliste, un peu inconscient, un peu hableur, qui cherche à se fabriquer une place, aussi bien dans le domaine professionnel que dans celui de la vie intime. Mais il n'est pas le seul à être remarquable, car tous les personnages importants de l'histoire, et ils sont nombreux, sont dépeints avec une richesse psychologique, sociale, humaine, émotionnelle, tout à fait exceptionnelle,  à quelque bord qu'ils appartiennent. Et, hormis le cas de  l'inspecteur Hiroto Katagiri (Ken Watanabe), ilôt solitaire de droiture, le moins qu'on puisse dire est que ces bords sont tous plus ou moins sombres. Ce qui est évident, c'est que tous sont analysés avec une précision chirurgicale qui détaille aussi bien leurs noirceurs que leurs failles. Du très grand art. Certes, quelques longueurs s'invitent ici ou là, mais il est impossible de les regretter, tant elles participent à l'installation d'une atmosphère profondément authentique et réaliste.

 On est donc d'autant plus frustrés d'arriver à la fin de l'épisode 8, avec un suspense qui débouche sur du vide. Souhaitons de tout cœur qu'une suite verra le jour, et que nous n'aurons pas trop longtemps à attendre, car la complexité des intrigues risque de s'effacer rapidement de notre mémoire. Pour info, nous espérons toujours, mais avec un optimisme qui se consume, la suite du remarquable « Messiah », sorti il y a trois ans.

 Pour l'anecdote, notons avec stupéfaction le nombre de cigarettes grillées ! Impressionnant ! La production semestrielle de Marlboro a dû y passer !
   
Bernard Sellier