La seconde guerre mondiale est terminée depuis un an environ. Maurice Bendrix (Ralph Fiennes) rencontre un jour dans la rue Henry Miles (Stephen Rea), qui était, naguère, son ami, et, surtout le mari de Sarah (Julianne Moore), devenue sa maîtresse. Maurice et la jeune femme, quelque peu délaissée par un époux qui consacrait ses heures au Ministère, s'étaient intensément aimés pendant toute la durée de la guerre. Mais un jour, alors que Maurice venait d'être blessé lors d'un bombardement, elle l'avait quitté brusquement, sans donner aucune explication à son attitude...
Il y a quelques années, la vision de ce film ne m'avait guère enthousiasmé. Est-ce le fait d'avoir revisité récemment d'autres oeuvres de Neil Jordan : ("The crying game" ou "Entretien avec un vampire"), d'avoir été immergé dans les variations d'un thème qui apparaît récurrent, à savoir les diverses imprégnations de l'amour, toujours est-il que ma perception de ce drame romantique a totalement changé. Là où s'étalaient, dans mon souvenir, un ennui pesant, une répétitivité artificielle, brille désormais un hymne à l'amour passion, mais surtout à l'Amour absolu, mystique, aussi déchirant que noble. Réflexion mélancolique, funèbre, sur les liens physiques ou invisibles qui se tissent entre les êtres : flamme, ivresse, adoration, jalousie, renoncement, désespoir, haine... Mais, au-delà de ces émotions partagées par tous les humains, se dessine un sentier vers la révélation divine, vers la communion avec une puissance capable d'un pouvoir alchimique infini. Vers un état aussi rare que précieux, qui pourrait être appelé, par certains, la Grâce.
Ralph Fiennes retrouve ici un personnage torturé, raviné par la jalousie, qui évoque bien souvent celui du Comte Laszlo de Almásy dans "Le Patient anglais". Descente dans l'enfer intérieur de l'amant abandonné, enfermement dans un sépulcre où la rancoeur et la détresse se disputent l'espace, tout cela entre en parfaite résonance avec sa composition d'humain torturé. Mais ce sont Stephen Rea et Julianne Moore qui creusent dans la mémoire un sillon indélébile. Henry, personnage falot, pitoyable, rond de cuir ennuyeux, prend, au fil du récit, une dimension, certes toujours aussi discrète sur le plan narratif, mais de plus en plus profonde sur le plan spirituel. Il n'a rien d'un amant fougueux, rien d'une personnalité socialement brillante, mais se dessine en lui une noblesse du coeur, une grandeur d'âme, finalement bouleversantes. Quant à Julianne Moore, éblouissante, comme elle le sera un peu plus tard dans "Loin du Paradis", la sobriété, la délicatesse infinie de son expression n'ont d'égale que la pureté de ses idéaux.
Sans doute ne perçoit-on pas ici, de manière aussi constante que dans "The crying game", la magie poétique, la grâce éthérée. Certains moments sont sublimes, transportent l'âme dans des régions rarement explorées. Malheureusement, la structure du récit et la présence en voix off de Maurice, prennent à plusieurs reprises la forme de fractures, ne permettant pas que s'instaure une permanence de l'enchantement. Il n'empêche que le spectateur qui a su entrer en sympathie (au sens propre du terme) avec le merveilleux de ce drame, en sortira le coeur brisé, mais, paradoxalement, empli de joie.