Million dollar baby, film de Clint Eastwood, commentaire

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Million dollar baby,
      2004, 
 
de : Clint  Eastwood, 
 
  avec : Clint Eastwood, Hilary Swank, Morgan Freeman, Michael Pena, Mike Colter, Jay Baruchel,
 
Musique : Clint Eastwood

   
   
Frankie Dunn (Clint Eastwood), vieil entraîneur de boxe, doté d'une certaine réputation, possède une petite salle d'entraînement miteuse. Eddie Scrap (Morgan Freeman), un ancien boxeur qui a perdu un oeil au cours de son 109 ème combat, fait le ménage et habite sur place. Un jour, arrive une jeune femme d'une trentaine d'années, Maggie Fitzgerald (Hilary Swank), obsédée par le désir de devenir une championne. Bien que Frankie se refuse à devenir son manager, elle passe des jours entiers dans la salle, s'entraînant jusqu'à l'épuisement. Eddie, impressionné par sa ténacité, lui donne quelques conseils en cachette. Frankie finit un jour par céder. Il lui organise quelques combats, qu'elle gagne avec une facilité déconcertante. Il se résout alors à la faire engager dans de véritables affrontements avec des championnes... 
 
   Depuis le milieu des années 80, Clint Eastwood, réalisateur, est manifestement passé du stade de bon faiseur ("Sudden impact", "Pale Rider"), à celui de créateur inspiré. Cet approfondissement de la réflexion, sans doute générée par l'âge et l'expérience de vie, ne l'empêche nullement de conserver, dans ses oeuvres, une simplicité narrative et un goût des récits dépouillés qui les rendent immédiatement éloquentes et captivantes pour tout spectateur normalement constitué.  
 
   Tous les sujets qu'il aborde tournent autour du même thème : la mort. Pas forcément, d'ailleurs, la vraie, la définitive (comme par exemple dans "Un monde parfait"). Il s'agit, le plus souvent de morts symboliques au monde vivant, d'une solitude intérieure qui prend différentes formes, mais coupe toujours les personnages de la joie, de la communication et de l'harmonie. Dans "Sur la route de Madison", Francesca Johnson est une femme relativement jeune, éloignée du terme de son existence, mais son énergie vitale est étouffée, chacune de ses journées est une survie. Dans le récent et magnifique "Mystic river", Dave Boyle, comme il le dit lui-même, disparaît lorsqu'il réussit à s'échapper de l'enfer, mais il est quelqu'un d'autre, incapable de se libérer de la prison intérieure où l'enferme sa souffrance, solitaire parmi sa famille et ses anciens amis qui, d'ailleurs, sont tout aussi incarcérés dans leur monde clos. 
 
   Dans ce dernier film, nous sommes en présence de trois solitaires absolus. Frankie, vieilli, désabusé, écrasé par une culpabilité jamais surmontée, se traîne dans une fin de vie décadente et sinistre, entassant les lettres envoyées à sa fille, qui, perpétuellement, reviennent avec la mention "destinataire inconnu". Eddie cache, derrière une bonhomie de façade et une générosité bridée, un isolement tout aussi dramatique. Quant à Maggie, jeune et relativement jolie, elle affiche une image d'elle-même totalement négative, considérant sa vie comme un ratage absolu ! Affligée d'une mère castratrice et stupide, d'un frère malfaiteur, elle ne voit de brèche lumineuse que dans l'explosion d'une violence viscérale qui lui est permise par l'entraînement sportif.  
 
   Moins immédiatement éruptif que dans "Mystic River", le drame n'en est pas moins intense. Pourtant, c'est avec une douceur extrême, une sagesse paisible, une émotion pudique, que le réalisateur caresse ces destins emmêlés, qui se frôlent, se heurtent, se confondent. Il nous bouleverse parce qu'il sait être riche mais sobre, narrateur de parcours tristes tout en les illuminant d'une lumière bienveillante, détaché et pourtant profondément humain. Il aborde avec humilité, sans avoir l'air d'y toucher, le mystère de la fatalité, de la rédemption, de la compassion. Hilary Swank est bouleversante, d'une justesse extrême... Et Clint, vieilli (encore plus par le doublage français qui le ferait presque passer pour un centenaire !), nous offre avec modestie, presque timidité, un film envoûtant...  
 
   Et que les allergiques à la boxe (dont je suis !) se rassurent. La volcanique Maggie gagne tous ses combats (enfin... presque...) en quelques dizaines de secondes ! Parce que le propos de Clint Eastwood n'est pas de filmer un parcours sportif ou d'analyser le monde de la boxe, mais de scruter les élans intérieurs, les soubresauts de l'âme, les affolements du coeur ! Et cela, il le fait avec un talent merveilleux !
   
Bernard Sellier