Bienvenue sur le site d'un manipulateur de mots, passionné d'écriture, de cinéma, de musique, d'ésotérisme...     

Spider,
     2002, 
 
de : David  Cronenberg, 
 
  avec : Ralph Fiennes, Miranda Richardson, Gabriel Byrne, Lynn Redgrave, John Neville, Bradley Hall,
 
Musique : Howard Shore

   
   
Un homme dépenaillé, hagard, Dennis Cleg (Ralph Fiennes), descend du train dans une ville indéterminée. Il se rend chez une certaine Madame Wilkinson (Lynn Redgrave), qui héberge quelques personnages tout aussi démunis que lui. Installé dans une chambre minable, il poursuit la remémoration de certains événements de son enfance, qu'il note sur un carnet. Obsédé par les araignées, au point d'être surnommé "Spider", il était un garçonnet renfermé, tentant péniblement d'exister entre une mère (Miranda Richardson) douce, désemparée, et un père (Gabriel Byrne) violent, qui passait le plus clair de son temps dans les pubs mal famés... 
 
   David Cronenberg ne connaît pas la couleur "rose". Les mondes qu'il visite au travers de ses oeuvres sont en permanence d'un noir sépulcral, peuplés d'individus autistes, condamnés par eux-mêmes ou par un destin cruel à vivre dans une bulle impénétrable. Lorsqu'ils ne jouent pas de leurs perturbations intérieures pathologiques ("Faux-semblants"), les personnages sont écrasés par une force qui les oppresse ("Dead zone"), les fait parfois basculer dans l'animalité pure ("La Mouche"), le délire sado-masochiste ("Crash"), ou encore, comme c'est le cas ici, ils sont indicible souffrance, au point de se déconnecter d'une réalité insupportable par une manipulation mentale inconsciente et l'approche d'une folie salvatrice.  
 
   Cleg n'a plus grand chose d'un humain conscient et vivant. Son visage ravagé, halluciné, la déchéance tant physique que psychologique, traduite avec une sobriété et une sécheresse bouleversantes par un Ralph Fiennes méconnaissable, son marmonnement indistinct et les caractères cabalistiques dont il noircit son calepin dans tous les sens, font déjà de lui un étranger au monde dit "réel". Si l'extérieur est sale, repoussant, l'intérieur est tout aussi déglingué. Dans un décors de rues nues, qui semblent désertées par la race humaine, il effectue un parcours mnémonique et manipulateur entre les deux pôles qui ont marqué sa vie de pré-adolescent : le bar où son père tentait d'oublier des souffrances inconnues ; sa maison, et, en particulier sa chambre, tendue de ficelles enchevêtrées symbolisant une toile d'araignée. En quête d'une pureté maternelle ou idéalisée, d'une rédemption inaccessible, il malaxe ses réminiscences ponctuelles, vaguement guidé par un fil d'Ariane des plus ténus. 
 
   Chez David Cronenberg, le cauchemar, la monstruosité ne sont jamais brillants ou flatteurs. Suivre le malheureux Cleg dans les méandres de son esprit malade, n'est pas une sinécure, tant l'ascétisme dans la narration et le dépouillement dans la peinture du mal-être, sont intenses. Mais Ralph Fiennes porte à un tel degré son implication intérieure, qu'il parvient à insuffler une puissance suggestive majeure à ce personnage proche de la désintégration mentale, affective, et de l'extinction vitale. 
 
   Difficile, mais bouleversant.
   
Bernard Sellier