Faux-Semblants, film de David Cronenberg, commentaire

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Faux-semblants,
      (Dead ringers),      1988, 
 
de : David  Cronenberg, 
 
  avec : Jeremy Irons, Geneviève Bujold, Shirley Douglas, Nick Nichols, Barbara Gordon, Stephen Lack, Heidi von Palleske,
 
Musique : Howard Shore

  
 
Beverly et Elliot Mantle (Jeremy Irons) sont deux frères et deux vrais jumeaux. Déjà enfants, ils étaient obsédés par la sexualité. Devenus adultes, ils deviennent gynécologues et habitent le même appartement. Ils ont pris l'habitude de partager les femmes. Un jour, une jeune actrice de séries, Claire Niveau (Geneviève Bujold), consulte Elliot. Il découvre qu'elle ne peut avoir d'enfant en raison d'une configuration très particulière de son utérus. Il devient son amant, de même que Beverly. Mais bientôt, l'harmonie se fissure. Elliot souhaite que l'aventure se termine, ce qui n'est pas l'avis de Beverly. Claire, de son côté, est fort troublée lorsqu'elle apprend que Beverly, qu'elle croit son seul amant, possède un jumeau... 
 
 Trouver un fil conducteur dans la filmographie de certains réalisateurs, Steven Spielberg, ou l'éclectique Ridley Scott, par exemple, n'est pas une sinécure. Dans le cas de David Cronenberg, en revanche, l'entreprise est relativement aisée et passionnante. L'évolution thématique de ses créations semble gravir progressivement les échelons de deux échelles parallèles mais bien différenciées : celle de l'univers physique et celle du monde psychique. Les sujets de "Frissons" (1975) et de "Rage" (1977) appartiennent sans conteste au premier. "Dead Zone" (1983), en revanche, explore uniquement le second. Lorsqu'apparaît "La Mouche" (1985), une fusion s'opère entre les deux univers, avec une nette prédominance du physique. Dans l'histoire d'Elliot et de Beverly, la polarité de la fusion s'inverse. Le psychique tient le haut du pavé, même si le monde physique n'est pas absent, loin de là, puisque les deux frères sont obsédés par la manipulation des organes génitaux et que la jonction matérielle unissant les frères siamois les obnubile. Huit ans plus tard, dans le très spécial "Crash" (1996), les deux mondes trouveront un certain équilibre, si l'on peut donner ce terme à la perversion délirante de James Ballard. Plus récemment, pour Dennis Cleg, le "héros" de "Spider" (2002), le psychisme perturbé est quasiment seul maître du jeu...  
 
 L'inspiration du réalisateur suit les courbes de deux sinusoïdes, celles-ci s'écartant tantôt l'une de l'autre, tantôt s'unissant ponctuellement, mais toujours habitées par la malformation moléculaire, la mutation mortifère, et/ou par la désagrégation de l'être intérieur. La trame de "Faux-semblants" est à la fois simple et très complexe. Le drame en lui-même prend la forme primaire d'une réaction chimique : deux corps sont en solution, et tout semble normal. On y ajoute une troisième "substance", (en l'occurrence la subversive Claire), une sorte de catalyseur, et la précipitation a lieu. Les deux composants primaires se séparent inéluctablement et ne pourront jamais retrouver l'état initial. Si l'on cherche à voir au-delà de ces apparences, un royaume ténébreux et enchevêtré apparaît. Les carapaces externes se fissurent, les diamants se ternissent, les puissants ne peuvent plus dissimuler leurs faiblesses, les idéaux se clarifient, les masques tombent, la pseudo-égalité vole en éclats. Les deux prétendus "génies", en quête de la synchronicité absolue, révèlent sans ambiguïté ce qu'ils sont dans leur vérité : deux coquilles brillantes, mais vides d'âme. L'égalisation ne pouvant se faire au "niveau" du "puissant" (Elliot), elle se fera à l'étage inférieur du plus faible, dans une descente aux enfers d'une folie extraordinaire. Jeremy Irons est impérial dans l'incarnation de ces deux êtres, d'abord indifférenciables dans la majesté, puis profondément dissemblables, pour terminer leur course dans une fusion pathologique désespérée. Passionnant !
   
Bernard Sellier