Ne pas lire avant d'avoir vu la série... Un groupe de marginaux et de personnes lourdement endettées est invité à participer à un jeu mystérieux, Squid game. Drogués durant le transport, ils sont 456 à se retrouver dans un lieu inconnu. Il y a là Seong Gi-hun (Lee Jung-jae), qui passe son temps à jouer et doit une fortune à des débiteurs et à sa banque ; son ami Cho Sang-woo (Park Hae-soo), diplômé d'économie, mais recherché par la police pour malversations ; Kang Sae-byeok (Jung Hoyeon), une jeune fille qui rêve de faire venir ses parents de Corée du Nord. Le premier jeu proposé est connu de tous les enfants : 'un, deux, trois, soleil'. Mais dans les premières minutes du jeu, tous les participants constatent avec horreur que celui qui ne respecte pas à la lettre la règle du jeu est immédiatement exécuté...
Une série qui a fait couler beaucoup d'encre (sans oublier le sang !) à sa sortie sur Netflix. Le concept n'est guère nouveau et les anciens n'ont sans doute pas oublié «Le prix du danger» d'Yves Boisset (1983) ou le «Rollerball» de Norman Jewison (1975). Plus récemment, les films du genre «Hunger games» ont réactualisé le concept de manière assez originale. Mais ce qui nous est proposé par cette série sud-coréenne, (à regarder si possible en V.O. sous-titrée, car les accentuations phonétiques de certains acteurs sont inénarrables et totalement gommées en V.F.), recule de cent lieues les limites du genre par la radicalité de ses choix et le jusqu'au-boutisme de ses situations. À peine le spectateur a-t-il eu le temps de se dire que les tenues des 'autorités' ont manifestement été inspirées par celles des braqueurs dans «La casa de papel», que le déferlement d'éxécutions du premier jeu survient et laisse tétanisé. À ce moment-là, les masques inquiétants ne font plus rire du tout et on se demande jusqu'à quelles extrémités la série va nous entraîner, si le démarrage se montre aussi explosif. Dans les faits, les épisodes suivants ne proposent pas réellement un crescendo, mais plutôt une adaptation des jeux qui verront soit des équipes entières s'affronter, soit de simples duels, qui permettront à chaque personnage de dévoiler son vrai visage.
La courte présentation, au tout début de la saison, de quelques individualités marquantes, en particulier celle de Seong Gi-hun, ne se démarque en rien de la manière dont les œuvres extrême-orientales aiment caricaturer leurs protagonistes : à savoir un cabotinage chronique et une excitation parfois presque hystérique qui transforme les intéressés en pantins montés sur ressorts ou branchés sur une pile de 10 000 volts. La suite, heureusement, quitte cette superficialité frénétique pour une approche nettement plus sensible, voire émouvante, du petit microcosme qui parvient à survivre aux différentes épreuves. Et, dans ce registre, l'histoire ne manque pas de réussite, car le spectateur n'est pas près d'oublier Ali Abdul (Anupam Tripathi), dépouillé par la traîtrise de son 'ami' Cho Sang-woo, le vieux Oh Il-nam (Oh Yeong-su), pas si malade que cela du cerveau, ou encore la jeune Ji-Yeong (Yuuki Luna), capable de se sacrifier pour Kang Sae-byeok. Avec, dans la catégorie opposée, puisqu'il est toujours 'bon' d'avoir quelqu'un à haïr, les 'méchant(e)s' de service, en l'occurrence Jang Deok-su (Heo Sung-tae), la grosse brute épaisse, ou encore Han Mi-nyeo (Kim Joo-Ryung), prête à toutes les compromissions ou trahisons. Car, bien sûr, chaque jeu est l'occasion pour chaque participant de faire éclater au grand jour ses qualités réelles, qu'elles soient altruistes, parfois, mais le plus souvent foncièrement égoïstes. N'oublions pas que, sous l'apparence 'd'une chance pour se battre à la loyale', comme le déclare assez ironiquement l'un des 'chefs', (on ne comprend pas très bien d'ailleurs pourquoi il laisse la clique de Jang Deok-su décimer une partie des joueurs dès les premières nuits...), la motivation originale réelle de chacun(e) est la cupidité. Il est possible d'ergoter ensuite pour savoir si le désir de Kang Sae-byeok est plus noble que celui de Seong Gi-hun. Dans sa globalité, en revanche, on a beaucoup de difficultés à cerner les motivations profondes du scénariste-réalisateur. Étant donné le choix de la dramaturgie, il semble très difficile de soutenir qu'il a voulu créer une dénonciation virulente de la pauvreté qui gangrène le pays. Sans vouloir paraître 'mauvaise langue', il paraît beaucoup plus probable que le but premier a été de créer une série 'électrochoc'. Et force est de reconnaître que, dans ce registre, la réussite est là, puisqu'elle est devenue la plus regardée de Netflix.
Cela dit, une fois le premier ahurissement digéré, il est naturel de s'intéresser à tout ce qui entoure ces jeux enfantins pervertis jusqu'à l'extrême. La première interrogation concerne ces étranges gardiens et leur chef, tout de gris vêtu. Sue ce plan, c'est quasiment : 'circulez, y'a rien à voir', excepté pour une révélation à l'avant-dernier épisode, prévisible depuis un certain temps. Le second pôle d'intérêt réside dans l'infiltration, dès la seconde 'session', du policier Hwang Jun-ho (Wi Ha-Joon). L'espoir de voir l'action se diversifier par ce biais est vite éteint. Il est évident que reconnaître un personnage sous un masque sans aucune marque distinctive, ne facilite pas le suivi des actions du personnage. D'ailleurs il disparaît assez rapidement de nos radars, pour réapparaître quelques épisodes plus tard, sans qu'on comprenne coment il a pu se planquer dans cet environnement surveillé en permanence. Pas beaucoup plus limpide cette histoire annexe de trafic d'organes opérée, si nous avons bien compris, par quelques gardiens à l'insu du plein gré de 'L'agent'. Étrange et déconcertant. Tout comme le sont les décors aux couleurs pimpantes et criardes, genre mega maison de poupée, dans lesquels évoluent gardiens et prisonniers. Il semblerait que le créateur a mis dix ans pour 'pondre' sa créature. Il est d'autant plus étonnant que la narration soit à ce point approximative dans certaines de ses composantes. À moins que nous n'ayons perdu le fil par moments, car l'histoire s'autorise des lenteurs quelquefois pesantes...
Mais, au-delà de toutes ces analyses techniques presque superflues, ce qui devrait constituer la principale source de commentaires, c'est évidemment de souligner le fait que, présenter cette 'fiction' (?) comme un divertissement relève, au mieux de l'inconscience, au pire d'une manipulation mentale proprement ignoble. Mais il est instructif de voir que cet étalage de sauvagerie sort justement dans une période plus que troublée. Cette boucherie inter-humains n'est que la traduction en images des échanges verbaux incendiaires que l'on découvre chaque jour avec effarement sur Twitter. Un récent débat dans Touche Pas à Mon Poste, éclairait sans ambiguïté les menaces, souvent physiques, qui s'abattent sur les chroniqueurs, de plus en plus contraints de 'mesurer' leurs paroles pour éviter de froisser les susceptibilités de malades mentaux en puissance. Si un tel jeu existait, et, malheureusement, il pourrait inspirer des cerveaux de milliardaires psychopathes, il y a fort à parier que le comportement des 456 candidats ne serait plus une fiction dystopique. Nous sommes ici dans le même cas de figure que le récent «John Wick, parabellum», pour lequel, cas unique, nous avions interrompu la vision à mi-parcours. Si nous n'avons pas opéré ici la même sanction, c'est pour la simple raison qu'il est toujours instructif, voire indispensable, d'observer la nature humaine dans tous ses développements et dans toutes ses expressions, aussi sombres, sadiques et destructeurs paraissent-ils. Voir apparaître sur les écrans, au moment où Facebook allèche les moutons décérébrés avec son futur 'metavers', un jeu sanglant dans lequel l'humain a quasiment disparu, est non seulement révélateur de ce qui se profile, mais surtout inquiétant au plus haut degré pour toute une frange de la population adepte de la fuite dans l'imaginaire le plus tordu. Ne parlons même pas de la justification donnée par le créateur du jeu, à la fin du dernier épisode, qui explique que son but était simplement de s'amuser ! On croit rêver !
Consternant à maints égards, mais aussi indispensable pour qui veut être conscient d'une voie possible empruntée par l'humanité (ou, ce qui est peut-être plus juste, que certaines 'instances' mal intentionnées souhaiteraient voir emprunter à l'humanité !). Car, au bout du compte, le 'metavers' n'est que la forme ultime actuelle du lavage de cerveau opéré depuis des décennies, de manière basique, par les chaînes de télé et les jeux vidéo. Ce qui, jusqu'alors, n'était qu'une fabrique de moutonnage et de décérébration artisanale, deviendra, grâce aux univers virtuels, une plongée réaliste qui coupera de manière radicale le lien ténu entre les cerveaux et les corps qui les abritent. Bienvenue dans le monde futur de l'Intelligence Artificielle viciée. À l'évidence, la dernière scène appelle une suite. Le réalisateur a précisé qu'il ne se précipiterait pas. Qu'il prenne tout son temps, de toute manière ce sera sans nous...