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Le comte de Monte-Cristo,
     2024,  
 
de : Alexandre  de La Patellière, Matthieu  Delaporte,
 
  avec : Pierre Niney, Anaïs Demoustier, Bastien Bouillon, Anamaria Vartolomei, Laurent Lafitte, Patrick Mille,
 
Musique : Jérôme Rebotier


 
Lire le poème (CinéRime) correspondant : Attendre et espérer

 Ne pas lire avant d'avoir vu le film...

 
Edmond Dantès (Pierre Niney) a tout pour être heureux : la jeunesse, la beauté, une charmante fiancée, Mercédès (Anaïs Demoustier), et un poste de capitaine à bord du Pharaon, que lui offre son armateur marseillais, Monsieur Morrel (Bruno Raffaelli). Mais, le jour de son mariage, la foudre tombe. Dénoncé comme pro-bonapartiste par Fernand de Mortcerf (Xavier de Guillebon), cousin et amoureux de Mercédès, ainsi que par Danglars (Patrick Mille), qui s'était vu retirer son titre de  capitaine, il est emprisonné sans jugement au château d'If. C'est là qu'il fait la connaissance d'un vieux prisonnier mystérieux, l'abbé Faria (Pierfrancesco Favino)... 
 
 Avant de nous concentrer sur le film en lui-même, observons une approche étrange : les deux réalisateurs sont les scénaristes du récent Trois mousquetaires. Or, pour une raison mystérieuse, ce dernier roman a été tourné en deux époques, alors que le présent Comte de Monte-Cristo, beaucoup plus long sur le papier, n'a droit qu'à un seul film qui, même développé sur trois heures, est bien loin de pouvoir contenir toutes les richesses du roman. La version de Robert Vernay, avec l'excellent Pierre-Richard Willm, tournée en 1943, s'étendait elle aussi sur la même durée, et se montrait également bien trop courte pour refléter les complexités de l'œuvre. Pourquoi diable, à une époque où les séries sont reines, un réalisateur amoureux de cette histoire envoûtante ne se lance-t-il pas dans une transcription la plus complète possible de ce chef-d'œuvre ? Josée Dayan avait tenté l'aventure il y a vingt-six ans, mais le résultat était catastrophique. Aux dernières nouvelles, sortirait courant 2025 une série en huit épisodes  de Bille August, avec Sam Claflin, Jeremy Irons et Ana Girardot. On ne peut que saluer cette initiative, d'autant plus que sa version des Misérables, avec Liam Neeson, était tout à fait honorable. 

  Abordons maintenant le film. Pour une fois, nous allons écrire deux commentaires différents. Le premier destiné aux spectateurs qui n'ont pas lu le livre. Le second destiné aux amoureux de l'ouvrage d'Alexandre Dumas. Mais la tâche est ardue. Car il est très difficile, pour ne pas dire impossible de se concentrer sur le film seul, sans être aveuglé par les ajouts, les manques, les contresens, les simplifications par rapport à l'œuvre originale. Disons que la trame est suffisamment dramatique pour captiver l'attention du spectateur, que les décors sont somptueux, et que les acteurs, Pierre Niney surtout, assurent. En ce qui concerne le plan visuel, un gros regret tout de même sur l'apparence de Dantès qui, au bout de vingt ans, n'a quasiment pas vieilli. Mais cette réserve est anecdotique. Les deux reproches majeurs que l'on pourrait faire au film concernent, d'une part, le monolithisme du héros tout au long de l'histoire, et, d'autre part, des raccourcis scénaristiques qui rendent le récit assez primaire. Il manque ici toute la richesse émotionnelle qui a tout loisir de se déverser dans une série, comme c'était le cas, par exemple, de Revenge

 Qu'en est-il en revanche lorsqu'on a lu - et adoré - le livre d'Alexandre Dumas ? Eh bien, ça commence vraiment très mal, avec le sauvetage en mer d'une nommée Angèle (Adèle Simphal), sortie d'un chapeau par les scénaristes, et qui se révèle être la sœur du procureur Gérard de Villefort (Laurent Lafitte). Exit donc le père de ce dernier, Noirtier, remplacé par une jolie jeune femme qui ne va pas tarder à se faire presque étrangler par son magistrat de frère. Passons. Emprisonnement au château d'If, rencontre de l'abbé Faria, évasion... Jusque là, les fondements de l'histoire sont à peu près respectés. Arrive ensuite le plat de résistance de l'œuvre, avec la préparation de la vengeance de celui qui est devenu comte de Monte-Cristo. C'est là que les gros problèmes commencent.

 Dans le roman, Edmond Dantès est bien sûr un justicier. Mais cet aspect de son existence en tant que richissime aristocrate n'est que l'une des facettes qui le caractérisent, et qui sont totalement occultées dans le film. La première est un mélange de bonté et de reconnaissance. Elle se retrouve, entre autres scènes, dans le sauvetage de la maison Morrel, l'armateur ayant été le seul à soutenir l'accusé  tout au long de ses premières années de détention, ainsi que dans le soutien tant physique que moral, du jeune Maximilien Morrel. Cette générosité est présente ensuite dans le sauvetage de la jeune Valentine de Villefort, victime d'une tentative d'empoisonnement dans sa propre famille. Or ces deux passages, capitaux pour apprécier la complexité psychologique de Dantès, sont ici totalement supprimés. En ce qui concerne les vengeances, les deux premières sont expédiées de façon simpliste et sommaire, avec un Andréa poignardant son père et un Danglars ruiné. Toutes les aventures avec les bandits romains ont elles aussi disparu, mais c'est là un moindre mal.

 Une autre facette de Monte-Cristo est passée aux oubliettes. Il s'agit de la puissance souterraine, occulte, dont il use pour mener à bien certaines de ses entreprises. Nous la trouvons en particulier dans la mise en scène de la mort de Valentine et dans le secret auquel il soumet Maximilien, persuadé d'avoir perdu sa bien-aimée, durant une longue période. La disparition de toute cette partie est profondément nuisible, puisqu'elle omet tout un pan de la personnalité de Dantès. En l'occurrence les failles qui viennent interférer dans la programmation parfaite de sa vengeance. Son reliquat d'amour pour Mercédès le pousse à accepter l'interruption de son plan. Sa tendresse pour Maximilien le pousse à accepter de sauver Valentine, cette fille d'une race maudite. Passons sous silence le duel final avec Fernand de Mortcerf, aussi grotesque qu'aberrant sur le plan du respect de l'histoire.

 Par bonheur, l'une des scènes les plus poignantes du roman a été en partie conservée, même si son impact psychologique et dramatique est ici grandement atténué. Il s'agit de la supplication que Mercédès adresse au comte lorsqu'il se prépare à son duel contre Albert de Mortcerf le lendemain matin. Pour la première fois, Dantès accepte de se laisser tuer avant d'avoir terminé sa vengeance, afin de préserver la mère de la perte de son enfant.

 En fin de compte, ce qui est le plus regrettable, ce ne sont pas tant les distorsions événementielles, même si certaines hérissent le poil. Ce qui est affligeant, c'est la réduction d'une personnalité romanesque riche, complexe, ambiguë, magnétique, tour à tour attachante et inquiétante, à une figure monochrome, rudimentaire, réduite à la mise en place d'une vengeance basique qui s'opère sans états d'âme et sans écueils. L'intérêt premier du film aura été, semble-t-il, d'engendrer chez nombre de spectateurs le désir de se plonger dans l'œuvre originale. Espérons que, malgré un style qui n'est plus tout à fait celui de notre époque, ces nouveaux lecteurs seront envoûtés par l'atmosphère unique de ce roman, aussi riche sur le plan événementiel que poignant grâce au parcours quasi initiatique de ce personnage inoubliable.

 Un tout petit quatre étoiles, surtout grâce à Pierre Niney qui parvient à faire exister sa prestance dans cette série globalement insipide.  
   
Bernard Sellier