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Dolores Claiborne,
     1995, 
 
de : Taylor  Hackford, 
 
  avec : Kathy Bates, Jennifer Jason Leigh, Judy Parfitt, Christopher Plummer, David Strathairn, John C. Reilly, Bob Gunton,
 
Musique : Danny Elfman


   
Dolores Claiborne (Kathy Bates) est soupçonnée par l'inspecteur de police John Mackey (Christopher Plummer), d'avoir provoqué volontairement la chute mortelle de sa patronne, Vera Donovan (Judy Parfitt), chez laquelle elle travaillait depuis 22 ans. La fille de Dolores, Selena St. George (Jennifer Jason Leigh), prévenue par un billet anonyme, arrive dans l'île nordique où s'est produit le drame. Les deux femmes ne se sont pas vues depuis de nombreuses années. Les retrouvailles sont douloureuses et marquées par une agressivité réciproque. Petit à petit, le passé se réveille. En particulier la mort, déjà mystérieuse, du mari de Dolores, Joe St. George (David Strathairn), alcoolique et violent, que John Mackey avait toujours attribuée à la veuve, sans jamais parvenir à le prouver... 
 
   Stephen King est décidément un créateur protéiforme. A côté des délires sanglants de "The Shining", de "Carrie", à côté d'objets douteux du type "Dreamcatcher", il nous offre parfois de pures merveilles, à l'image de "Misery", "La ligne verte" et "Les évadés". Ou encore du niveau dramatique de ce film, qui apporte, à supposer que cela soit utile, une preuve supplémentaire qu'il n'est nul besoin d'interventions fantastiques ou terrifiantes pour donner naissance à une oeuvre puissante et cauchemardesque. Les composantes cachées de la nature humaine sont largement suffisantes pour concurrencer la noirceur et la sauvagerie supposées d'Aliens destructeurs. 
 
   Une ile quasiment coupée du monde. Cinq personnages qui ne sont capables de s'exprimer que par le non-dit, l'ironie cinglante, ou la violence. Cela suffit à créer une atmosphère dont la lourdeur n'a d'égale que la profondeur de solitude qui enserre les âmes. Le pivot central du drame est Joe. Personnage foncièrement noir, intégralement odieux, il n'a cependant rien, malheureusement, d'une caricature outrée. C'est lui qui, par son mépris et sa violence, détermine les événements. Générant autour de lui peur et répulsion, il fabrique de toutes pièces les dégradations physiques, psychologiques, de Dolores ainsi que celles de sa fille. Dolores, a priori aimante et douce, se referme progressivement pour devenir une boule de nerfs agressive et vulgaire. Elle se voit contrainte de travailler chez Vera, dont le mépris hautain et l'arrogance glaciale sont une insulte permanente à la dignité humaine. Quant à Selena, elle couvre ses souvenirs traumatisants d'un épais crêpe noir afin de pouvoir survivre, tant bien que mal, aidée par l'ingurgitation régulière de comprimés antidépresseurs. Le cinquième pivot est plus ambigu, mais tout aussi destructeur. Il s'agit de l'inspecteur Mackey, qui entretient une étrange attitude vis à vis de Dolores. Provocateur, blessant, ironique, malsain, il tente désespérément de compenser la blessure causée par son incapacité à prouver la culpabilité de Dolores lors du décès de son mari. 
 
   Toutes les composantes de ce microcosme vont, pendant quelques jours, se mêler, s'observer, se manipuler, s'agresser, pour tenter de trouver une bouffée d'air pur et d'échapper au gouffre qui menace de les engloutir. Le scénariste et le réalisateur ont mêlé intimement drame psychologique intense, hyper concentré, et énigme criminelle. Loin de se combattre, ces deux aspects se renforcent mutuellement et donnent naissance, grâce à l'extraordinaire face à face des deux héroïnes, aussi impliquées l'une que l'autre, à un bouleversant affrontement, dont la résolution est beaucoup plus l'échappée hors de l'abîme intérieur que la reconnaissance de l'innocence juridique.  
 
  Construit classiquement, mais efficacement, à l'aide de flash back ponctuels, tendu jusqu'à l'extrême limite de la rupture, habité de personnages forts, complexes, dépouillés du moindre atome de superficialité, ce film est une vertigineuse plongée dans les traumatismes familiaux et les ouragans de l'inconscient. Le dénouement est une pure merveille.
   
Bernard Sellier