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Love,
        (Women in love),      1969, 
 
de : Ken  Russell, 
 
  avec : Glenda Jackson, Oliver Reed, Alan Bates, Jennie Linden, Eleanor Bron, Alan Webb,
 
Musique : Georges Delerue

   
   
Gudrun Brangwen (Glenda Jackson) et sa soeur Ursula (Jennie Linden) sont deux institutrices dans les années 1900-1920. Elles font la connaissance de deux hommes à la recherche de leur identité, tant sexuelle qu'existentielle : Rupert Birkin (Alan Bates), inspecteur de l'éducation nationale, et Gerald Crich (Oliver Reed), qui a pris la place de son vieux père à la direction des mines de charbon. Rupert est plus ou moins sous la coupe de la sculpturale Hermione Roddice (Eleanor Bron), mais il se sent de plus en plus attiré par Ursula... 
 
   Après avoir beaucoup tourné pour la télévision, Ken Russell donnait naissance à cette oeuvre qui allait marquer les esprits (surtout pour la scène de combat entre Rupert et Gérald, nus devant le feu de bois, et qui paraît, aujourd'hui, bien inoffensive lorsqu'on découvre "Romance X", "Anatomie de l'enfer" ou encore "Ken Park"...). Il faut dire que le style pour le moins original de Ken Russell, ici relativement sage, allait exploser dans la décennie suivante, dans les pseudo-biographies de Tchaïkovsky ("Music Lovers"), Liszt (Lisztomania"), Gustav Mahler ("Mahler"), ou dans les délires mystico-délirants du style "Les Diables".  
 
   Ici, le réalisateur semble faire ses premières armes de créateur inspiré. A partir d'un roman de D.H.Lawrence, il nous offre une variation excitante, mais visuellement maîtrisée, sur la quête identitaire de personnages, surtout masculins, qui s'ébattent dans le bourbier des contradictions mentales, des déchirures du coeur, et des aspirations illusoires. Les individus parlent beaucoup dans ce film. De manière emphatique, péremptoire, spontanée, excessive, brillante. Les déclarations à l'emporte-pièce de Rupert, en particulier, font parfois penser à celles qui émaillent "4 mariages, un enterrement". Nous avons droit à de longues palabres sur la sexualité, les relations hommes-femmes, le rôle du mariage dans l'amour. A des réflexions angoissées, fiévreuses, douloureuses, sur l'impossibilité de l'amour absolu... Tout cela pourrait paraître très intellectuel, boursouflé, parfois théâtral, une sorte de masturbation intellectuelle d'adultes infantiles dont le mot d'ordre serait : je n'applique pas ce que je pense. Et pourtant une magie intense se dégage de ce parcours cahotique. A chaque détour des méandres existentiels, surgissent des instants de grâce, de beauté, d'inspiration poétique, qui adoucissent la rigueur cérébrale des interrogations intérieures. Le charme propre que dégage chacun des protagonistes, la bigarrure de leur paysage psychique intrinsèque, composé d'ombres torturantes et de lumières criardes, frivoles, sont pour beaucoup dans l'envoûtement que génère cette comédie dramatique de la vie. Les séquences débridées, extravagantes (Gudrun dansant devant le troupeau de taureaux, ou mimant avec Herr Loerke (Vladek Sheybal) le mariage d'un Tchaïkovsky homosexuel) se mêlent aux descentes périlleuses dans le gouffre des blessures intimes, des rêves avortés. Ken Russell, déjà fasciné par la danse, mais dont le style n'est pas encore submergé par les exaltations hallucinatoires qui se répandront dans les oeuvres postérieures, fait preuve ici d'une créativité saine, qui habille de parements toniques, euphorisants une histoire ténébreuse et morbide.
   
Bernard Sellier