Un crime dans la tête, film de Jonathan Demme, commentaire

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Un crime dans la tête,
      (The Manchurian candidate),     2004 
 
de : Jonathan  Demme, 
 
  avec : Denzel Washington, Meryl Streep, Ted Levine, Jon Voight, Bill Irwin, Liev Schreiber,
 
Musique : Rachel Portman

   
 
1991, la première guerre "du Golfe". Le Capitaine Ben Marco (Denzel Washington) et un petit groupe d'hommes tombent dans une embuscade. C'est le sergent Raymond Shaw (Liev Schrieber) qui permet à quelques survivants d'échapper au massacre. Pour cet acte de bravoure, il reçoit la très rare Médaille d'Honneur du Congrès. Aujourd'hui, poussé et soutenu par sa mère, Eleanor Prentiss (Meryl Streep), Sénateur aussi brillante qu'intransigeante, Raymond est choisi comme Vice-Président du candidat Robert Arthur. Ben, sujet depuis une décennie à des cauchemars, rencontre un jour un de ses hommes, le caporal Melvin (Jeffrey Wright), lui aussi gravement perturbé psychologiquement. Il tente d'approcher Shaw afin de le questionner, mais se fait éjecter par le service d'ordre. L'idée s'impose de plus en plus à lui que la réalité de l'événement vécu au Koweit est peut-être toute autre... 
 
 Le roman de Richard Condon a déjà été mis en scène, brillamment, paraît-il, ( version avec Frank Sinatra et Laurence Harvey, infiniment mieux cotée, d'ailleurs, que celle-ci, sur le site IMDB ), par John Frankenheimer, en 1962. La transposition dans le temps ne pose aucun problème, l'intérêt du sujet fondamental étant totalement indépendant du contexte politique et militaire choisi. Pourquoi Jonathan Demme, qui, depuis "Philadelphia" et "Le silence des agneaux", n'a pas donné naissance à des oeuvres marquantes, a-t-il choisi de tourner ce remake ? Il est d'autant plus légitime de se poser la question, que le résultat, sans être inintéressant, semble relativement falot à côté des deux films précédemment cités. Le sujet de la mémoire, particulièrement prisé actuellement, est sans nul doute un thème aussi passionnant que mystérieux et porteur d'interrogations traumatisantes. Qu'il soit traité de manière fantastique "Mémoire effacée", dramatique "Se souvenir des belles choses", ou romantique "N'oublie jamais", il ne laisse jamais indifférent, tant notre vie intérieure est dépendante de cet empilement énigmatique et ténébreux de milliards d'informations subjectives. 
 
 On pense immédiatement, ici, à "L'échelle de Jacob". Le drame se met en place rapidement, même si sa caractérisation demeure longtemps nébuleuse, à l'image de la difficile reconstitution des faits dans l'esprit malade de Ben. Mais, une fois installés le doute et la marche vers la vérité, l'intensité narrative devient étale et se cantonne dans un train-train classique, pour ne pas dire routinier, qui ne brisera sa carapace tranquille que dans la demi-heure finale, dont la tension se montre enfin digne de ce qui nous était promis. Au terme de cette vision, ce n'est pas tant la trame événementielle qui demeure gravée dans l'esprit, que les personnages qui la traversent. Denzel Washington donne une grande crédibilité à son personnage traumatisé. Mais ce sont finalement les deux autres protagonistes qui procurent à l'oeuvre le piment principal dont elle a grand besoin : Raymond, dont l'ambivalence bourreau-victime est particulièrement bien rendue, et, surtout Eleanor, sorte de mante religieuse carnassière, possessive, habitée par un délire de pouvoir pathologique, au masque barré en permanence d'un sourire menaçant, à laquelle Meryl Streep donne une authenticité glaçante.  
 
 D'une œuvre fondée sur ces sujets hautement d'actualité (manipulation de l'individu et des masses, débordements du pouvoir, expérimentations dans lesquelles l'humain n'a pas plus d'importance que la première grenouille venue...), il était légitime d'attendre intensité exceptionnelle et approche hautement tragique. Le réalisateur évite habilement les excès et le sensationnel, mais, revers de la médaille, donne naissance à une oeuvre globalement tiède qui ne laisse pas un souvenir impérissable.
   
Bernard Sellier